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Intervention de Frédéric Worms

Réunion du lundi 24 avril 2023 à 16h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie

Frédéric Worms, professeur de philosophie, directeur de l'École normale supérieure (ENS-PSL) :

Le point majeur que je souhaite développer concerne à la fois le lien et la différence entre l'aide à mourir et le soin, l'aide à mourir et l'aide à la fin de vie. Je le ferai à travers trois éléments : la question du principe, la question de la pratique, enfin la loi et la projection qu'en fait chacun pour lui-même.

Premièrement, l'aide à mourir n'est légitime qu'en fin de vie. Pour être légitime, elle suppose de maintenir, au-delà des contradictions qu'il implique, le principe premier de l'éthique – en particulier de l'éthique médicale –, celui de la lutte des humains contre la mort. Il est heureux que ce texte comporte des verrous car, si l'on ne croit pas aux verrous, on ne croit plus à la loi. Je pense que la demande d'aide à mourir ne doit pas contredire la lutte contre la mort. Au contraire, elle atteste que le malade est arrivé à une limite critique.

En matière de bioéthique, le mot « aide » désigne une contradiction. Selon moi, il ne s'agit plus d'un soin, et pourtant il représente une réponse à une demande, à une souffrance. En effet, le soin est une lutte contre la mort – par défaut contre la souffrance, comme dans le soin palliatif – et ne peut pas viser son contraire, c'est-à-dire le geste actif qui conduit à la mort, sans se contredire profondément. Pourtant, cette aide requiert malgré tout les soignants, qui vont être amenés légitimer et peut-être à accompagner la demande du malade. Je pense aussi que le mot « aide » permet de contourner la surdétermination des mots « euthanasie » et « suicide ». Ce concept extrêmement précis doit donc être distingué du soin, sans pourtant en faire un geste barbare, et qui est demandé non comme un bien, mais comme un moindre mal. En résumé, il ne faut jamais séparer d'une part l'aide à mourir de la fin de vie, et d'autre part le soin ; mais il faut marquer leur différence. À ce sujet, la continuité et la distinction des deux chapitres du projet de loi me paraissent cohérentes.

Le deuxième point concerne la pratique : ce lien et cette différence entre fin de vie et soin se traduit par une situation presque intenable, impossible, mais pourtant nécessaire, pour les soignants. Le médecin peut et doit pouvoir dire que cela n'est plus du soin et, en même temps, il est le seul à donner les critères pour lesquels cela n'en est plus un. À cet effet, la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs joue un rôle clef. Les médecins ont à marquer à la fois une forme de distinction et une responsabilité profonde. Sans le critère médical, nous risquons toutes les dérives.

Enfin, troisièmement, pourquoi une loi est-elle nécessaire ? Je crois que des verrous sont impératifs pour maintenir l'aide à mourir dans la fin de vie, mais qu'il faut également une loi. Si le problème de la décision extrême dans les cas tragiques en fin de vie concerne très peu de personnes en pratique, chacun se projette dans cette situation. C'est la raison pour laquelle les sondages font état d'une forte demande des Français pour cet espace de parole, en espérant que tout sera fait pour éviter d'y être conduit soi-même et éviter d'y accompagner les autres.

En conclusion, le lien entre l'aide à mourir et le soin implique de dégager un espace minimal pour l'aide à mourir et un espace maximal pour le soin, lequel n'encourage pas seulement une loi sur le soin palliatif mais sur le soin en général, qui mobilise la société autour des soins palliatifs, de la prévention, de la santé publique, la santé physique et mentale. La force d'une législation démocratique est d'assumer les contradictions humaines. Je pense que dans cette forte loi sur le soin, qui dégage les critères de cet espace minimal et critique, sont conciliées les exigences contradictoires auxquelles tout être humain et toute société démocratique sont confrontés.

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