Il existe une division forte dans le camp de ceux qui sont favorables à une évolution de la loi en faveur d'une aide à mourir, entre ceux qui considèrent que l'euthanasie et le suicide assisté peuvent devenir une modalité parmi les autres de mourir, et ceux qui estiment que l'évolution doit s'accompagner de verrous, de conditions préalables. Il me semble que l'on ne peut pas considérer la mort comme une valeur positive et donner la mort, de quelque façon que ce soit, comme une manière comme une autre de mourir. Comme Claire Fourcade l'a souligné devant vous, une autre solution est possible : celle du suicide assisté tel qu'il est pratiqué en Oregon ou en Suisse.
Pour ma part, l'idée que le présent projet de loi s'inscrive dans la continuité des lois précédentes me semble problématique. Il existe une différence de nature entre ceux qui vont mourir et ceux qui veulent mourir, entre une médecine d'accompagnement jusqu'à la mort et une médecine qui donne la mort comme un soin, entre un État qui place les droits de l'homme au cœur de ses principes et un État qui fixe les conditions d'une mort légale et légitime, entre une dignité inconditionnelle et une dignité révisable qui permette à quelqu'un de se juger lui-même indigne de continuer à vivre, entre une prise en charge maximale de la souffrance et la mort donnée comme un arrêt de la souffrance, entre une prise en charge de la pulsion de mort et une résignation face à cette pulsion, entre ceux qui tiennent compte de l'ambivalence psychique face à la mort et ceux qui la minimisent. À ce titre, le président de l'Académie de médecine a souligné que les psychiatres sont les grands oubliés de ce projet de loi.
Ensuite, le choix sémantique de privilégier dans le projet de loi le terme d'aide à mourir plutôt que de parler d'euthanasie et de suicide assisté me semble relever d'une euphémisation inquiétante. En outre, les expériences étrangères attestent bien de l'augmentation des demandes et des dérives existantes par rapport au projet initial.
Par ailleurs, le projet est aussi promu au titre d'une supposée fraternité. Mais, pour ne parler que de ce qui se passe depuis sept ans, la fraternité qui supposerait de donner des moyens massifs pour les soins palliatifs, les hôpitaux psychiatriques, les 200 000 tentatives de suicide annuelles en France et la prise en charge de la souffrance, fait défaut.
En outre, comment mener à bien cette aide à mourir quand 76 % des soignants sont inquiets, 90 % ne veulent pas injecter de solution létale, 90 % prédisent des conflits et 22 % des médecins veulent quitter le métier, ainsi que Claire Fourcade l'a rappelé devant vous ?
Enfin, il me semble erroné de dire que le droit donné à certains n'entraînerait pas d'effet sur le reste. L'effet Werther est bien connu en matière de suicide mimétique. Les exemples du Canada et des Pays-Bas témoignent d'un effet de contagion sur d'autres demandes liées à la lassitude, à la souffrance existentielle, au sentiment d'être de trop, à la solitude. Pour conclure, je trouve étonnant que le projet associe à la fois les soins palliatifs et l'aide active à mourir, considérant qu'en l'état, le plan que vous allez vraisemblablement voter ne propose qu'une augmentation de 6 % du budget.