La société française attend des débats apaisés sur la fin de vie. Elle s'est exprimée plusieurs fois : avec la Convention citoyenne certes, mais aussi avec le Conseil économique, social et environnemental et le Comité consultatif national d'éthique. La sociologie s'intéresse fondamentalement à la solidarité sociale, notion fondamentale mise à jour par Émile Durkheim. Ce principe d'action élève la capacité sociale de tous les membres de la société à se réunir et à s'unir, particulièrement à travers la loi et l'éducation. Pour la sociologie, la loi ne doit pas être faite pour un seul, mais un seul d'entre nous peut solliciter toute la loi à un moment de son existence sans nécessairement y avoir pensé auparavant.
Une loi explicite sur l'aide à mourir doit permettre d'éviter des fracas médiatiques ou des procès pénibles. À ce titre, la loi de 2002 sur le droit des malades a profondément modifié la relation à la médecine, les parcours de soins, la participation et même la responsabilité des malades dans des étapes cruciales de leurs soins. Il est essentiel de prendre en compte la centralité de la parole de ceux qui réclament éventuellement de mourir. Un court dialogue avec le patient, une proposition explicitement établie d'une sédation, permet aujourd'hui de déclencher la mort et soulage souvent sans douleur. Mais tel n'est pas toujours le cas.
Le projet de loi souligne le principe de l'autorité médicale pour enclencher une procédure d'accompagnement à mourir. Je ne discute pas sa centralité. Mais j'interroge l'unité du monde médical qui a fait part de tensions internes sur la conduite à tenir et sur la gestion de situations qui mobilisent bien souvent des principes éthiques et engagent jusqu'à la subjectivité de ceux qui accompagnent, activement ou non. Une thèse que je dirige actuellement montre que les principales tensions éthiques dans la formation des infirmiers dans les établissements spécialisés portent sur l'arrêt des traitements, que les malades peuvent demander depuis 2002. De fait, les capacités d'accompagnement d'un mourant engagent la subjectivité des soignants, des aidants et de ceux qui l'entourent, en fonction de leur appartenance, leurs références religieuses, mais aussi leur formation, leur expérience, la spécialité exercée ou l'équipe médicale à laquelle ils appartiennent. La loi ne soustraira pas les soignants à leur engagement personnel auprès des malades.
C'est la raison pour laquelle il faut laisser l'arbitrage aux malades, en lien avec ses interlocuteurs et en posant évidemment les limites qui n'entravent pas celles que chacun d'entre nous est en droit d'établir pour son existence. Laisser une plus grande place à la parole du malade, à la relation d'aide et de soins au moment d'arrêter un traitement questionne effectivement la capacité d'accompagner activement avec une euthanasie ou un suicide assisté la mort qui se réclame. La médecine n'a pas l'unité que l'application de la loi envisage probablement, mais que les Français attendent dans son exercice. Aujourd'hui, c'est l'unité et l'espace d'implication de la médecine – sans que l'auto-administration ne soit nécessairement la seule figure imposée – qui sont sollicités.
La comparaison internationale atteste que la loi ne résout pas tout, mais l'on ne peut opposer les difficultés rencontrées ailleurs pour bloquer une loi effectivement réclamée aujourd'hui.