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Intervention de Francesca Pasquini

Séance en hémicycle du jeudi 2 mai 2024 à 9h00
Discussion d'une proposition de loi — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancesca Pasquini, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Cent soixante mille : tel est le nombre estimé des mineurs victimes de violences sexuelles tous les ans en France – soit un enfant toutes les trois minutes ; ainsi, trois enfants auront été concernés au moment où je terminerai mon intervention. Ce chiffre terrible me hante. Selon le ministère de l'intérieur et des outre-mer, près de 84 000 femmes ont été victimes de violences sexuelles en 2023. Ce chiffre, déjà effrayant, ne concerne pourtant que les femmes enregistrées par les services de police et de gendarmerie, soit la partie émergée de l'iceberg. S'y ajoutent les enfants et les adultes victimes d'abus physiques, de violences psychologiques et de maltraitances.

Toutes ces victimes sont là, elles nous regardent, elles nous attendent. Elles sont parmi nous dans cette salle, nous les avons croisées ce matin dans les transports en commun, elles sont derrière leur télé, elles font la queue avec nous à la caisse du supermarché, elles sont trois dans chaque salle de classe, elles sont assises à côté de nous à chaque repas de famille, elles font partie de notre bande d'amis. Victimes d'hier et d'aujourd'hui, elles se trouvent dans toutes les strates de la société. Aucune sphère ne les protège ou ne les expose plus qu'une autre. Personne n'est à l'abri. Les violences n'ont pas de frontières, d'âge, de lieu, de classe sociale, de catégorie professionnelle.

Parfois, l'une de ces victimes prend son courage à deux mains et sort de l'ombre. Elle le fait pour elle, mais aussi pour les autres, notamment pour toutes celles qui n'ont pas la force de témoigner. Sa démarche est empreinte d'altruisme, de sororité. Ces dernières années, il n'y a pas eu un jour sans qu'une victime dénonce ce qu'elle a subi. Chaque parole encourage celle des autres. Petit à petit, d'autres voix s'élèvent, déterminées, vibrantes. Elles décrivent avec précision le moment de leur vie où tout a basculé, où l'innocence a laissé place à la noirceur, où leur chair a été violée, où leur corps a été profané, où des violences verbales et psychologiques les ont détruites de l'intérieur.

Les industries du cinéma, de l'audiovisuel, de la publicité, de la mode et du spectacle vivant, qui partagent des caractéristiques communes, ne sont pas épargnées par ces violences. Les mécanismes de prédation, d'isolement et d'omerta sont les mêmes partout, mais ils s'épanouissent encore davantage dans ces secteurs qui fonctionnent en vase clos, comme une grande famille, et dans lesquels les relations entre enfants et adultes et le rapport au corps et à l'image sont si particuliers.

Rien que pour le cinéma et la télévision, la liste des courageuses et des courageux qui ont témoigné est longue. Je citerai Isild Le Besco, Charlotte Arnould, Lucie Lucas, Aurélien Wiik, Anna Mouglalis, Adèle Haenel, Francis Renaud et, bien sûr, Judith Godrèche, à l'origine de la demande de création d'une commission d'enquête. Il y a aussi toutes celles et tous ceux, inconnus du grand public, qui ont osé parler et porter plainte, qui ont témoigné anonymement dans la presse, sans oublier celles et ceux qui franchiront peut-être le pas demain. Ce sont des actrices et des acteurs, mais aussi des techniciennes, des décoratrices et des assistantes réalisatrices.

D'autres accusations ciblent le spectacle vivant, en premier lieu le théâtre et le stand-up. Je pense à Marie Coquille-Chambel et Florence Mendez, lanceuses d'alerte respectivement dans ces deux secteurs. D'autres encore visent la mode et la publicité. En 2021, plus d'une dizaine de mannequins ont dénoncé publiquement les violences sexuelles que des photographes et des patrons d'agence leur avaient fait subir lorsqu'elles étaient mineures. N'oublions pas les cas de violences psychologiques et de maltraitance, et la difficile situation des enfants qui travaillent dès leur plus jeune âge dans ces domaines, comme les élèves des conservatoires de musique, de danse et d'art dramatique, ou les enfants qui ont passé le casting du film CE2 de Jacques Doillon, victimes de harcèlement.

Toutes et tous font état d'un système gangrené, malsain, destructeur et insuffisamment encadré, qui, jusqu'à présent, a protégé les agresseurs en leur offrant un terrain de chasse pour, dans chaque être humain pris au piège, forger de leurs mains répugnantes un artiste, certains allant jusqu'à sublimer les agressions et les violences en tentant de rendre glamour l'indicible. Si la commission d'enquête que nous appelons ici de nos vœux est créée, elle sera chargée d'identifier les mécanismes à cause desquels ces violences perdurent et permettra, je l'espère, de pointer du doigt les acteurs et les personnes complices de ce système. La commission d'enquête aura surtout pour mission de faire des recommandations et de proposer des modifications législatives si nécessaire.

Je dis à toutes les lanceuses d'alerte et à toutes les personnes qui ont témoigné, permettant ainsi la prise de conscience, que leur appel a été entendu. Le rôle du Parlement est désormais de prendre le relais pour faire la lumière sur les violences systémiques et pour s'assurer qu'elles ne se reproduiront plus. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé, le 14 mars dernier, cette proposition de résolution visant la création d'une commission d'enquête. Il n'a fallu que quelques heures pour que des collègues députés de plusieurs groupes politiques expriment publiquement leur soutien. Je remercie tout particulièrement nos collègues Perrine Goulet, présidente de la délégation aux droits des enfants, et Véronique Riotton, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

En à peine dix jours, la proposition de résolution a été cosignée par près de quatre-vingts députés, issus de neuf groupes différents, et inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée par la conférence des présidents. Si elle est adoptée, cette commission d'enquête verra le jour grâce à une volonté transpartisane, en dehors de tout droit de tirage, fait rarissime qui témoigne de l'importance du sujet. Ce soutien transpartisan honore l'Assemblée nationale et envoie un premier signal fort aux victimes.

À nous, désormais, de joindre les actes à la parole. Je l'ai dit en commission et je le répète : nous ne pouvons plus détourner le regard et considérer ces violences comme des exceptions. La représentation nationale ne peut se contenter de recueillir la parole trop longtemps tue des victimes : elle doit s'en faire le relais et trouver des solutions. Plus qu'une libération de la parole, les victimes ont besoin d'une libération de l'écoute et de politiques publiques adéquates. Le temps de l'action est venu. Je vous invite donc, chers collègues, à approuver à l'unanimité la création de cette commission d'enquête.

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