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Intervention de Catherine Jaouen

Séance en hémicycle du mardi 30 avril 2024 à 15h00
Motion de rejet préalable — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Jaouen :

Il plaisait à Émile Garçon de rappeler qu'il importe à l'ordre social que la confidentialité qui caractérise, entre autres, les professions de médecin ou d'avocat, nécessaires confidents des hommes, leur soit imposée sans condition ni réserve, et que ce secret est donc absolu et d'ordre public. Il exprimait ainsi le caractère fondamental, pour une société démocratique, du secret professionnel – un secret garanti par la loi du 31 décembre 1971, qui établit les conditions d'accès à la profession d'avocat et de leur exercice.

La proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui vise à permettre aux juristes d'entreprise d'user du secret professionnel, qui n'appartient qu'aux avocats, calquant ainsi notre droit sur le droit anglo-saxon, fondé sur le legal privilege. Ce droit, qui use de la procédure accusatoire, est inapplicable en France, où la procédure inquisitoire érige en principe la force du contradictoire, tant dans le procès que dans l'applicabilité quotidienne des rapports des professionnels du droit.

L'esprit, peu clair, de ce texte nébuleux, serait de rendre la France attractive : afin d'éviter que des entreprises s'établissent dans d'autres États présentant une législation plus favorable sur ce point, ou aient recours à des lawyers, des avocats anglo-saxons, le texte vise à instituer un régime de confidentialité des consultations rédigées par un juriste d'entreprise. Les effets attachés à la confidentialité seraient l'insaisissabilité, la non-communicabilité et l'inopposabilité de cette consultation dans le cadre de procédures ou de litiges en matière civile, commerciale ou administrative, à l'exclusion des procédures ou litiges en matière pénale et fiscale.

Cette proposition de loi n'a été favorablement accueillie que par les représentants des juristes d'entreprise et par le barreau de Paris, les 163 autres barreaux français, la Conférence des bâtonniers et le Conseil national des barreaux dénonçant à l'unisson la création d'une nouvelle profession réglementée et l'affaiblissement du secret professionnel de l'avocat au préjudice des PME et des particuliers. L'Autorité de la concurrence, l'Autorité des marchés financiers (AMF) et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution s'y sont également montrés défavorables, estimant que leurs pouvoirs de contrôle et d'enquête en seraient amoindris.

Juriste d'entreprise n'est pas une profession réglementée, dont l'exercice est soumis à des obligations déontologiques contrôlées par des juridictions ordinales. Ces juristes n'ont d'ailleurs aucune indépendance dans l'exercice de leur profession, puisqu'ils sont soumis au pouvoir de direction de leur employeur. Cette activité n'est donc pas entourée de garanties propres destinées à prévenir d'éventuels abus.

Ce texte ne vise qu'à libéraliser l'économie au détriment de la sécurité des citoyens et des entreprises, et à affaiblir les professions réglementées. Pourquoi ces entreprises auraient-elles besoin d'un juriste et n'utilisent-elles pas les services d'un avocat ? C'est d'ailleurs déjà le cas, si j'en crois les orateurs précédents qui envisagent de voter en faveur du texte.

Cette confidentialité et les dispositifs de sa levée sont le vecteur d'incertitudes juridiques susceptibles de nuire aux intérêts des petites et moyennes entreprises en complexifiant leurs droits, et d'entraver l'accès des justiciables au régime de la preuve, comme c'est prévu au nom du droit à un procès équitable, car certaines entreprises pourront refuser de produire en justice les documents qui pourraient leur nuire, que ce soit en matière civile, commerciale ou administrative. Ce texte tend à métamorphoser fondamentalement le droit français et créera une rupture d'égalité entre les justiciables, ce qui est proprement inadmissible dans notre pays, garant des libertés fondamentales.

Enfin, en introduisant une validation des acquis professionnels qui permet aux titulaires de diplôme bac + 4 en droit d'obtenir une équivalence avec un titre universitaire en droit d'un niveau bac + 5, désormais nécessaire pour accéder à la profession d'avocat, les articles 2 et 3, ajoutés en commission des lois – et qui n'y ont pas été discutés –, laissent planer un doute sur la réelle motivation de cette proposition de loi. Il y a bien une volonté de créer un nouveau métier, et surtout d'exempter les juristes d'entreprise de tout concours d'accès à la profession d'avocat – on peut d'ailleurs s'interroger sur la mention, dans l'article 2, « ou de l'un des titres ou diplômes reconnus comme équivalents ». Au-delà du seul secret professionnel, ce texte touche aussi aux études universitaires. Ces ajouts de dernières minutes illustrent parfaitement le caractère inabouti et vicié du texte, qui tend à modifier l'accès à la profession d'avocat, dévalorisant par là les études universitaires nécessaires pour l'exercer.

Vous n'avez consulté aucune des parties directement concernées par cette proposition de loi, vous tentez d'imposer et de passer en force : dans une démocratie qui se respecte, ce n'est certainement pas admissible. Nous voterons donc contre ce texte inique, inabouti et rédigé à la va-vite.

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