J'ai très souvent travaillé de manière positive avec vous, monsieur le rapporteur, cependant cette fois-ci vous devrez m'excuser : je n'arrive pas à être d'accord avec la majorité. Dieu sait pourtant que j'essaye de bâtir un compromis en cherchant une voie médiane.
Le dispositif dont nous débattons est un véritable serpent de mer. Il était apparu en 2015 lors de l'examen du projet loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron. Nous avions alors voté contre, comme le ministre de l'économie d'alors, Emmanuel Macron lui-même. Pour ma part, je suis restée sur cette position.
Il nous a de nouveau été présenté sous la forme d'un amendement sénatorial au moment de la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice. Adopté, le dispositif a été censuré par le Conseil constitutionnel. Reste que, motivée par le seul fait qu'il s'agissait d'un cavalier législatif, cette censure ne préjuge en rien de la nature d'une éventuelle décision du Conseil sur le fond.
Enfin, la mesure nous est cette fois-ci présentée sous la forme d'une proposition de loi de notre collègue Terlier, dans une version identique à celle prévue par la proposition de loi du sénateur Vogel, votée récemment par la Haute Assemblée.
Sur la forme, le présent texte implique de nombreuses conséquences, qui interrogent l'application du droit. Nous redoutons qu'il serve l'objectif de s'y soustraire.
Il ne s'accompagne d'aucune étude d'impact, ce qui aurait été pourtant fort utile pour appuyer les arguments des uns et des autres, et trancher.
L'argument servi est celui de la compétitivité juridique de la France. Or nous ne disposons d'aucune étude documentée sur les besoins réels des entreprises – qui, d'ailleurs, n'ont jamais exprimé une telle demande, que ce soit les PME, les ETI ou les grands groupes ; lorsque je les rencontre sur le terrain, ils me parlent de tout, sauf du juriste d'entreprise et du besoin de confidentialité. Lors de son audition, le Medef lui-même ne m'a pas semblé convaincu – en tout cas, il n'était pas convaincant.
Un amendement de la majorité, adopté en commission des lois, prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport sur les conséquences du dispositif, dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la loi. Quelle disposition formidable ! En général, les demandes de ce genre sont rejetées, parce que jugées inutiles, l'Assemblée pouvant pour toute loi demander un rapport d'évaluation. C'est dire l'opacité dans laquelle nous nous engageons. Le législateur a toujours préféré l'étude d'impact au rapport a posteriori.
Sans chercher la polémique, je dirais que je m'attendais à voir un tel texte défendu par le ministre de l'économie et des finances, plutôt que par le ministre de la justice, qui est l'allié naturel des auxiliaires de justice.
Sur le fond, notre opposition à la proposition de loi s'exprimera en séance publique aussi, et cela malgré les aménagements que le rapporteur tentera d'apporter par voie d'amendement et le travail de persuasion effectué par Caroline Yadan.
Alors que le Gouvernement évoque sans cesse, et à juste raison, la nécessité de renforcer l'efficacité de l'État pour lutter contre les atteintes à la loi, ce texte amoindrit les capacités des autorités administratives à enquêter. Il présenterait même, selon l'Union syndicale des magistrats, un risque d'inconstitutionnalité. Allez comprendre !
Les régulateurs sont des acteurs puissants, qui participent à l'œuvre de justice. Ils sont tous opposés à cette proposition, qui s'inscrit à rebours de l'action que nous devons mener en matière de lutte contre la corruption.
Un amendement visant à interdire d'opposer la confidentialité aux autorités de l'Union européenne a été adopté en commission des lois. Pourquoi, à tout le moins, ne pas faire de même s'agissant des autorités administratives indépendantes françaises ? Elles savent mieux que quiconque ce qui est important pour pouvoir enquêter efficacement, dans l'intérêt général ! Dans l'état où la justice se trouve, est-il raisonnable de la priver de ces bras indispensables aux enquêtes que sont les régulateurs ?
Le texte complexifie le droit, alors même que nous nous apprêtons à améliorer la lisibilité du code de procédure pénale. J'approuve ce dernier chantier, et ne comprends pas que l'on ajoute de la complexité au moment même où nous cherchons à simplifier l'accès au droit.
Enfin, le juge des libertés et de la détention, qui est le recours pour tous les dossiers, devra également s'occuper de ce dossier et de la levée de la confidentialité.
Que dire encore de ce texte ? Monsieur le ministre, toutes les garanties que vous rappelez démontrent que ce dispositif régressif se trouve sur une ligne de crête dangereuse. Ce n'est pas parce que les entreprises nous demandent des garanties de confidentialité que nous devons les entendre : l'intérêt général doit dominer dans nos décisions.