La France, par l'absence de toute confidentialité des avis des juristes d'entreprise, se distingue des autres pays de l'OCDE et de l'Union européenne. Pourtant, l'opportunité de l'octroi d'une confidentialité aux avis des juristes d'entreprise est débattue depuis le début des années 1990 sans que la question du statut du juriste d'entreprise ait jamais trouvé de conclusion définitive.
Loin d'être anecdotique ou purement technique, la question de la confidentialité des avis des juristes d'entreprise concerne plus de 5 000 sociétés en France et plus de 20 000 juristes d'entreprise. Il s'agit de la deuxième profession juridique dans notre pays, après celle des avocats. Ce sujet est essentiel en raison de ses enjeux économiques et politiques.
Le rapport remis par Raphaël Gauvain en 2019 a clairement établi les enjeux de souveraineté attachés à la confidentialité des avis juridiques rédigés par les juristes d'entreprise. En l'absence d'une telle confidentialité, les entreprises françaises sont vulnérables face aux procédures administratives et judiciaires extraterritoriales, que celles-ci soient engagées par des autorités administratives ou par des entreprises étrangères.
Il est temps de clore ce débat en attribuant, sous de strictes conditions, le bénéfice de la confidentialité aux consultations juridiques rédigées par des juristes d'entreprise. Je tiens à rappeler que la reconnaissance de cette confidentialité serait attachée au respect de certaines conditions matérielles liées à l'acte in rem et non à la personne du juriste d'entreprise ; il ne s'agit donc pas d'une reconnaissance in personam. La proposition de loi prévoit également des conditions liées au diplôme et à la formation de l'auteur, à la qualité ou à la fonction du destinataire, ainsi qu'à l'apposition d'une mention distinguant explicitement la consultation juridique concernée comme confidentielle. Il est à noter que l'apposition frauduleuse de cette mention serait punissable des peines prévues pour faux. Cette confidentialité s'attacherait également aux documents préparatoires à une consultation juridique. L'insaisissabilité et l'inopposabilité des documents concernés dans le cadre de procédures ou de litiges en matière civile, commerciale ou administrative, découleraient de cette confidentialité, mais elle serait privée d'effet dans le cadre d'une procédure pénale et fiscale.
Cette proposition de loi permet donc de renforcer la souveraineté de la France et de protéger nos entreprises de lois et de mesures à portée extraterritoriale. Comme l'a rappelé M. le rapporteur, « la différence de protection de la confidentialité entre les juristes d'entreprises françaises et leurs homologues étrangers place les structures françaises dans une situation défavorable et davantage sujette aux poursuites judiciaires ».
Enfin, l'absence de protection de la confidentialité de ces consultations juridiques face à l'émergence du principe de conformité auquel les entreprises doivent se soumettre tend à crisper les investisseurs, qu'ils soient français ou étrangers, ce qui constitue de fait un véritable frein à l'investissement.
Le groupe Démocrate a bien conscience que cette proposition de loi inquiète une large partie des avocats. Ils ont exprimé des inquiétudes légitimes auxquelles, monsieur le rapporteur, vous avez répondu au cours des différentes auditions que vous avez menées et lors de l'examen du texte en commission.
Je tiens à souligner les améliorations apportées par la commission des lois. Ainsi, la confidentialité ne sera pas opposable aux autorités de l'Union européenne dans l'exercice de leur pouvoir de contrôle. En outre, pour éviter toute altération des consultations, la procédure de levée de la confidentialité sera appréhendée par un commissaire de justice dans l'attente de la décision du juge du fond.
Enfin, l'ajout de l'article 2 vise à éviter aux juristes d'entreprise déjà diplômés d'être pénalisés par la condition de qualification. Il est en effet primordial de s'assurer que l'adoption de la proposition de loi n'entraînera pas une rupture d'égalité.
En conclusion, la confidentialité française n'est pas en contradiction avec les textes européens puisqu'elle s'appuie sur le principe d'autonomie procédurale des États membres et ne s'oppose donc pas au principe de primauté du droit européen en cas d'enquête.
Cette proposition de loi marque une avancée pour notre pays, pour notre droit et pour nos entreprises.
Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, le groupe Démocrate soutiendra donc cette mesure, comme il l'avait fait lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice. Il défendra par ailleurs les évolutions qui permettraient de la parfaire.