Intervention de Philippe Gosselin

Séance en hémicycle du mardi 30 avril 2024 à 15h00
Motion de rejet préalable — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin :

Après une première tentative infructueuse, que le groupe Les Républicains et moi-même avions soutenue dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, la question du legal privilege, c'est-à-dire de la confidentialité des consultations juridiques d'entreprises, nous revient, et avec un certain écho, car elle suscite un vif débat. Elle a été âprement débattue en commission des lois, à grand renfort de plaidoiries d'un côté, de réquisitoires de l'autre. Nous avons tout entendu dire de cette mesure, accusée, pêle-mêle, de faire obstacle à l'œuvre de la justice, de favoriser le blanchiment de fonds et les fraudes, de permettre la dissimulation de preuves, et même de créer une boîte noire. Nous venons encore, il y a quelques minutes, d'entendre à peu près la même chose dans la bouche de M. Coulomme. Replantons donc le décor : revenons un peu en arrière.

Après l'échec de la tentative que j'ai évoquée, en 2023, le Sénat a réagi. Louis Vogel, sénateur du groupe LR, a déposé une proposition de loi sur le sujet. Adoptée le 14 février dernier au Sénat, elle a pour objectif d'introduire la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise, sans pour autant – j'y insiste – créer une nouvelle profession réglementée du droit.

Une proposition de loi identique a été déposée en décembre 2023 à l'Assemblée nationale à l'initiative de Jean Terlier. Elle a été examinée par la commission des lois le 10 avril et a fait l'objet d'un débat assez vif.

J'ai bien entendu les oppositions, en particulier celle des avocats, ou du moins celle de la Conférence des bâtonniers et Conseil national des barreaux. La position du barreau de Paris – faut-il le rappeler ? – est très différente : il est favorable à cette proposition de loi. Je prends ces dissensions très au sérieux, considérant qu'il faut y répondre point par point.

Non, je le répète, la profession de juriste d'entreprise n'est pas une nouvelle profession et la proposition de loi ne la crée pas. Cette profession est reconnue par la loi du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

Actuellement, les juristes d'entreprise sont enfermés dans une situation paradoxale, qui est pour eux une difficulté majeure et même existentielle. En effet, ils ont pour mission d'alerter les cadres dirigeants de leur entreprise sur les risques juridiques encourus tout en évitant l'auto-incrimination. Non seulement ce n'est pas simple, mais c'est même la quadrature du cercle. D'ailleurs, les états généraux de la justice avaient amplement souligné cette difficulté et ce paradoxe.

En refusant toute confidentialité aux avis des juristes d'entreprise, la France se met à l'écart d'une grande partie des pays membres de l'Union européenne et de l'OCDE, comme le rapporteur l'a rappelé. Une telle position est curieuse, alors même que reconnaître la confidentialité satisferait pleinement au droit communautaire, en vertu du principe de l'autonomie procédurale des États membres, comme cela a été rappelé dans l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 14 septembre 2010.

On constate, particulièrement ces dernières années, que des directions juridiques – et pas des moindres – s'exilent dans des pays où elles bénéficient de cette protection, par exemple chez nos voisins belges. En outre, les sociétés qui décident de rester en France font parfois le choix de ne pas recruter de juristes français, préférant se tourner vers des avocats anglo-saxons. Cela ne renforce pas l'attractivité du droit continental auquel nous sommes pourtant nombreux à être attachés. S'il est vrai que cela ne nuit pas à l'attractivité globale de la France, qui reste un pays accueillant pour les investisseurs étrangers, c'est néanmoins une question importante.

Je partage cependant la nécessité d'éviter la création d'une nouvelle profession réglementée. C'est la raison pour laquelle, en signe de bonne volonté et pour éviter tout flou, la commission des lois du Sénat, lors de l'examen de la proposition de loi de Louis Vogel, avait supprimé la notion de déontologie. Je pense toutefois que ce point peut être revu. Nous avons avancé en formulant non plus des exigences déontologiques mais des « règles éthiques » ; la différence me paraît ténue. Il me paraît possible de formuler des règles de déontologie car celles-ci ne sont pas par essence les prémices de la création d'une profession réglementée.

Par ailleurs, il ne s'agit nullement d'un cheval de Troie pour introduire l'avocat salarié en entreprise contre lequel, de façon constante et légitime, la profession a toujours manifesté sa ferme opposition – que je partage.

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