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Intervention de Éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du mardi 30 avril 2024 à 15h00
Confidentialité des consultations des juristes d'entreprise — Présentation

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Et nous en souvenir. Venons-en au dispositif soumis à vos suffrages. Il s'inspire logiquement des systèmes juridiques de nos pays voisins, dans lesquels le principe de confidentialité, le legal privilege, a fait ses preuves. Il n'en constitue toutefois pas une simple réplique, le dispositif étant adapté à nos exigences propres.

Le principe de confidentialité est ici attaché à un document et non à la personne qui l'a rédigé. C'est la consultation juridique elle-même, délivrée par un juriste d'entreprise à son employeur, qui est couverte par cette confidentialité. Cette distinction est importante. Elle démontre qu'il ne s'agit pas de créer une nouvelle profession réglementée qui bénéficierait d'un secret professionnel attaché à son statut, à l'instar des avocats ou des médecins.

La commission des lois y a été particulièrement attentive. Elle a judicieusement supprimé la référence à la formation en déontologie – marque des professions réglementées – pour la remplacer par une formation aux règles éthiques, plus conforme à l'esprit du texte. Les inquiétudes qui ont été exprimées à cet égard peuvent totalement disparaître.

Le dispositif que vous proposez prévoit des critères précis permettant de circonscrire les documents bénéficiant de cette confidentialité. La confidentialité ne sera acquise que lorsque la consultation juridique remplira tous les critères requis par la loi. Trois critères cumulatifs doivent être réunis : le rédacteur de la consultation doit justifier de la qualification et de la formation requises, afin de s'assurer de son niveau de compétence et de son éthique ; le destinataire de la consultation ne peut être que le représentant de l'entreprise, son organe de direction, d'administration ou de surveillance ; une mention obligatoire doit être apposée sur le document concerné, le document doit être classé dans les dossiers numériques de l'entreprise, et le rédacteur de la consultation doit être identifié. Grâce à ces critères objectifs, aucun autre document de l'entreprise ne sera protégé par cette confidentialité. À cet égard, le risque de dévoiement du dispositif est neutralisé. Ce dispositif ne servira pas de boîte noire à des entreprises peu scrupuleuses.

Vous avez trouvé un juste équilibre entre la nécessité de protéger effectivement les documents bénéficiant de cette confidentialité et la nécessité de garantir l'accès à ces documents dans le cadre des procédures pénales ou fiscales. Comme vous l'avez déjà voté lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (LOPJ), la confidentialité des documents ne pourra être opposée dans ce cadre. En revanche, elle s'appliquera aux procédures civile, commerciale et administrative.

Si nous ne voulons pas vider le dispositif de sa substance, il est nécessaire de conserver cet équilibre – comme le Sénat l'a fait au mois de février –, le même qui avait été trouvé dans le cadre de l'examen de la LOPJ.

Cet équilibre est également assuré par d'autres garanties : le juge peut obtenir la levée de la confidentialité dans certains cas, l'intégrité et la confidentialité des documents appréhendés étant préservée dans l'attente de sa décision. Il est ainsi prévu que la confidentialité peut être levée par le juge dans deux cas : lorsque les conditions légales permettant de qualifier un document de consultation juridique ne sont pas réunies ou lorsque la consultation saisie incite ou facilite la commission de manquements de nature administrative.

Le sort des documents entre leur appréhension et la décision du juge devait en effet être sécurisé. C'est chose faite. Il est en effet prévu que lorsque la confidentialité d'une consultation juridique est alléguée, à l'occasion d'une mesure d'instruction civile ou commerciale, ou à l'occasion d'une opération de visite administrative, celle-ci est appréhendée, en présence des parties, par un officier public ministériel – le commissaire de justice –, qui le place sous scellé. Le choix de faire intervenir un commissaire de justice permet de garantir tout à la fois l'intégrité du document et sa confidentialité.

Ce mécanisme permet donc de satisfaire, d'une part, les demandeurs à la mesure d'instruction et les autorités administratives ayant conduit une opération de visite, parce qu'ils auront la certitude que l'intégrité des documents sera assurée jusqu'à ce que le juge tranche la contestation ; d'autre part les entreprises, parce qu'elles auront l'assurance que la confidentialité du document est préservée. En effet, dans l'attente du jugement sur la contestation, nul ne pourra y avoir accès.

Contrairement à ce que certains craignent, il n'est pas question de permettre aux entreprises de constituer une boîte noire puisque le dispositif prévoit précisément une procédure contradictoire et équilibrée de levée de la confidentialité. Elle permet ainsi de garantir que le dispositif lié au caractère confidentiel des consultations juridiques ne sera pas utilisé à mauvais escient.

Ce dispositif, qui renforcera la filière juridique dans son ensemble sans porter atteinte aux intérêts en présence, est vertueux. Les activités juridiques doivent être considérées comme un vecteur de croissance économique. Il est certain que la sécurisation du travail des juristes d'entreprise rejaillira sur les partenariats existants entre les entreprises et les avocats.

J'ai la conviction, au regard des modèles étrangers, que les avocats en sortiront renforcés. J'ai eu l'occasion de le dire il y a quelques semaines : les juristes d'entreprises qui conseillent au quotidien leurs employeurs, notamment dans les nombreuses matières d'obligations de conformité, doivent pouvoir faire leur travail sans s'autocensurer. Nous cherchons à enclencher un processus vertueux. En conseillant utilement et sans frein leur entreprise, les juristes feront progresser le droit en leur sein, ce qui contribuera évidemment, à l'instar de ce que l'on observe dans d'autres États, au rayonnement juridique de la France, tout comme à son activité économique.

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