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Intervention de Philippe Juvin

Réunion du samedi 22 avril 2023 à 18h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Juvin :

Mes chers collègues, j'aimerais que nous mesurions tous la gravité et la solennité du moment que nous vivons. Le texte que nous allons bientôt examiner à l'Assemblée nationale consiste, pour la première fois dans notre histoire, à donner à l'État la possibilité d'organiser techniquement la mort des citoyens.

J'invite donc chacun, quelles que soient ses convictions, à mesurer le poids de chaque mot et de chaque virgule, parce que nous parlons de vie et de mort. Cette perspective doit nous inviter à la plus grande humilité.

S'agissant de la qualification de l'aide à mourir, vous avez évoqué à raison, madame la ministre, une exigence de clarté. Dès lors, pourquoi les mots « euthanasie » et « suicide assisté » ne figurent-ils nulle part ? Vous dites qu'il ne s'agit pas de suicide assisté car des conditions strictes sont prévues. Heureusement ! C'est le cas dans tous les pays qui l'ont légalisé. Il faut nommer les choses. L'accepteriez-vous ?

S'agissant des soins palliatifs, ils ne sont malheureusement pas garantis, sauf formellement par la loi. Nous craignons que des demandes d'euthanasie ou de suicide assisté résultent d'un défaut d'accès aux soins palliatifs. Certains disent que rien de tel n'est imaginable, mais cela l'est tout à fait, au contraire. Le texte impose au médecin de s'assurer que le malade peut accéder aux soins palliatifs. Si cet accès n'est pas garanti, cette disposition devient-elle un moyen d'exclusion ? Rien n'est prévu dans le texte à ce sujet.

Il y a aussi des conditions sociales à prendre en compte. Je me permets de rappeler que, si on est pauvre, il est difficile de s'offrir un ordinateur à 20 000 euros détectant le clignement des paupières pour en faire des phrases ou un fauteuil roulant électrique à 25 000 euros. Il n'est nullement prévu que l'équipe soignante examine ces questions sociales et en tienne compte.

Par ailleurs, la collégialité a été introduite partout dans la pratique médicale, ce qui est heureux. Mais en l'espèce, le patient pourrait avoir un seul médecin comme interlocuteur : dans votre texte, cela suffirait. Aucune autre forme d'exercice de la médecine ne se contente d'un seul praticien. Nous nous demandons s'il ne faudrait pas, s'agissant de la fin de vie, demander l'avis d'un psychiatre et d'un gériatre, mais aussi celui d'un juge. Il va devenir plus difficile d'obtenir une tutelle ou une curatelle qu'un suicide assisté ! Demander l'avis du juge permettrait d'écarter les possibilités d'abus de faiblesse. S'agissant notamment des majeurs protégés, il ne faut pas éluder la difficulté.

S'agissant de la clause de conscience, nous regrettons que les pharmaciens n'en bénéficient pas. Quant à l'idée qu'il s'agit d'une loi de fraternité, elle nous impose de faire en sorte qu'aucune transaction financière ne soit possible, donc de prévoir les garanties nécessaires pour que le secteur lucratif ne domine pas dans l'application de la loi.

Les Français veulent qu'on les aide à vivre dignement la fin de leur vie. Je souscris à l'idée qu'une aide à mourir est nécessaire. En tant que médecin, j'aide chaque jour des patients à mourir, mais en les accompagnant et en les soignant, non en leur donnant la mort. C'est là ce qui nous sépare, madame la ministre.

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