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Intervention de Catherine Vautrin

Réunion du samedi 22 avril 2023 à 18h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie

Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités :

Comme l'ont recommandé le CCNE et l'Académie nationale de médecine, comme le souhaitent une majorité de Français, éclairés par les travaux de la Convention citoyenne sur la fin de vie, comme s'y est engagé le Président de la République, j'ai l'honneur de vous présenter le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie, auquel vous avez, madame la présidente, plus que largement contribué.

Je rappelle tout d'abord le cadre de ce débat : les personnes concernées par ce texte ne le sont pas en raison de leur âge ou de leur handicap, mais d'une pathologie ; c'est une question médicale. Nous parlons par exemple de personnes atteintes de cancers ou de maladies neurodégénératives, notamment la sclérose latérale amyotrophique (SLA), qui seraient en fin de vie.

Ensuite, l'objet de ce texte est de répondre aux souffrances insupportables de quelques personnes auxquelles la loi en vigueur n'apporte pas de réponse suffisante.

Troisièmement, ce texte s'inscrit dans la continuité de précédentes lois, notamment de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite « loi Claeys-Leonetti ». Après l'interdiction de l'acharnement thérapeutique en 2002 et l'autorisation de la sédation profonde et continue jusqu'au décès en 2016, nous abordons là un nouveau chapitre.

Quatrièmement, ce texte repose sur l'expression de la volonté libre et éclairée du patient : lui seul peut formuler la demande et effectuer un recours contre la décision médicale.

Je voudrais souligner la profondeur et la qualité des travaux d'experts et des débats démocratiques qui ont éclairé l'examen de ce projet de loi. Ils ont traduit une certaine impatience, dans notre société, que ce débat ait lieu. Je citerai l'initiative parlementaire de votre rapporteur général, Olivier Falorni, en 2021, l'avis 139 rendu par le CCNE le 13 septembre 2022, ou le rapport d'information déposé par la mission d'évaluation de la loi Claeys-Leonetti, présidée par Olivier Falorni et dont Caroline Fiat et Didier Martin furent les rapporteurs. Je pense également au rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie, qui s'est tenue du 9 décembre 2022 au 2 avril 2023, à l'avis rendu par la commission temporaire « fin de vie » du Conseil économique, social et environnemental le 9 mai 2023, à l'avis de l'Académie nationale de médecine du 27 juin 2023 et au travail remarquable de la présidente de votre commission spéciale.

Au terme de ces débats, se sont exprimés : des craintes, auxquelles je souhaite que nous répondions point par point ; une forte exigence de clarté et de précision, que ce texte devra satisfaire ; une attente de vigilance au vu de la grande sensibilité du projet de loi – le législateur comme le Gouvernement doivent parfois être économes de mots ; une volonté de répondre aux situations de souffrance que la loi actuelle ne permet pas de prendre en charge ; un besoin d'écoute et de compréhension, souvent fondé sur des expériences personnelles lourdes.

Il est notamment ressorti de ces travaux que le préalable à toute action sur la fin de vie est un renforcement de l'accès aux soins palliatifs. Or notre pays n'est pas au niveau en la matière. La France n'est pas au rendez-vous de l'enjeu de l'accès universel aux soins palliatifs : elle occupe la quinzième place, parmi les trente-huit pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques, en termes de densité de l'offre de services spécialisés en soins palliatifs. Seulement un adulte sur deux et 30 % des enfants qui le nécessitent sont pris en charge – soit 190 000 adultes sur 380 000. Nous devons impérativement progresser, d'autant plus que nous devrons être en mesure de prendre en charge près de 440 000 personnes par an en 2035, selon le rapport de la Cour des comptes sur les soins palliatifs.

Il est donc indispensable que nous renforcions les dispositifs de prise en charge hospitalière tout en développant une offre complémentaire à domicile et dans les établissements médico-sociaux. C'est l'ambition de la stratégie décennale des soins d'accompagnement, qui repose sur trois piliers : l'augmentation du nombre de places, la reconnaissance du travail des bénévoles et l'organisation d'une filière universitaire – je remercie à cet égard ma collègue Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Nous devons nous inscrire dans une logique de prise en charge anticipée, renforcée et continue de la douleur, avec l'ambition de bâtir un modèle français des soins d'accompagnement. Le choix de ce terme, défini à l'article 1er du projet de loi, marque une véritable rupture dans la prise en charge des maladies chroniques : les soins d'accompagnement visent en effet à anticiper la prise en charge dès le diagnostic de l'affection grave – prendre en charge plus tôt, pour le faire mieux – ainsi qu'à prendre en compte tous les besoins médicaux et non médicaux du patient comme de son entourage. L'ensemble des soignants seront mobilisés en ce sens, ainsi que les bénévoles, les professionnels du secteur social et de l'aide à domicile. L'enjeu est de renforcer rapidement l'accès de tous aux soins palliatifs et la prise en charge de la douleur, dans un souci d'équité territoriale, avant l'ouverture d'une aide à mourir.

Pour ce faire, nous avons annoncé un investissement décisif de 100 millions d'euros supplémentaires par an jusqu'en 2034, qui portera les moyens dédiés de 1,6 milliard en 2023 à 2,7 milliards en 2034 – soit une hausse de 66 % sur la période, alors que les besoins augmenteront de 16 %. Une forte impulsion sera donnée au cours des trois prochaines années.

La stratégie comprend trente mesures, dont quatorze proviennent du rapport remis par le professeur Franck Chauvin, repris quasiment dans son intégralité. Je tiens à remercier les membres de l'instance de réflexion stratégique pour leur travail.

Seules quelques-unes de ces mesures relèvent du domaine législatif ; elles composent le titre Ier du projet de loi. Elles traduisent trois grandes évolutions pour notre système de santé et notre société.

En premier lieu, il s'agit de renforcer l'offre de soins. Dans le cadre de la stratégie décennale, nous passerons de 166 unités de soins palliatifs (USP) à 190, portant le nombre de lits de 7 540 à 8 000, et nous ouvrirons 18 USP pédiatriques afin de disposer enfin d'une unité par région. Par ailleurs, 120 000 personnes pourront être accompagnées dans le cadre d'une hospitalisation à domicile, contre 70 000 aujourd'hui, et quinze équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) seront créées en 2024, cent à l'horizon 2034.

L'article 2 crée les maisons d'accompagnement. Elles ont vocation à accueillir les personnes en fin de vie qui ne relèvent plus d'un service hospitalier mais ne peuvent ou ne veulent rentrer à leur domicile. L'article 3 est relatif au plan personnalisé d'accompagnement, dont l'élaboration sera proposée à chaque patient dès le diagnostic d'une affection grave pour anticiper et coordonner la prise en charge en tenant compte des volontés de la personne malade.

Deuxièmement, il s'agit de renforcer l'accompagnement des patients par la société, au plus proche de leur domicile, en soutenant les collectifs d'entraide, les bénévoles et les aidants.

Troisièmement, il s'agit d'appuyer l'émergence indispensable d'une filière de formation universitaire en médecine palliative et soins d'accompagnement, en lien avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cent postes de chef de clinique des universités-assistant des hôpitaux seront créés, dont dix dès le début de l'année 2024, ainsi que cent postes d'universitaires titulaires, au rythme de dix par an.

La législation sur la fin de vie est le fruit de trois textes. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite « loi Kouchner », permet à un patient de refuser les soins qui lui sont proposés. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti », interdit que les traitements soient poursuivis par obstination déraisonnable pour les patients en fin de vie et affirme le respect de la dignité des personnes malades. La loi Claeys-Leonetti de 2016 a institué un droit à la sédation profonde et continue jusqu'au décès pour les patients atteints d'une maladie grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme.

La démocratie représentative a toujours su trouver un certain équilibre. Toutes ces évolutions législatives ont été guidées par deux principes : le respect de l'expression de la volonté libre et éclairée du patient et la recherche de l'apaisement et de la préservation de la dignité. Le projet de loi que nous soumettons au Parlement, guidé par ces mêmes principes, s'inscrit dans la continuité des précédentes lois, auxquelles il propose d'ajouter un chapitre.

Ce nouveau chapitre n'est pas un copier-coller des législations étrangères ouvrant l'accès à une aide à mourir. Ce n'est pas non plus un modèle euthanasique, puisqu'une personne extérieure n'intervient que si le patient n'est plus en capacité physique de s'administrer le produit létal. Ce n'est pas non plus une autorisation à se suicider, puisque des conditions strictes sont prévues, dont un examen médical. Ce n'est pas un droit nouveau, mais une liberté nouvelle.

Ce nouveau chapitre ouvre un chemin possible. Il apporte une réponse éthique à des besoins d'accompagnement, à des souffrances inapaisables, à des situations de désespérance qu'il serait inhumain d'ignorer, dans les cas où persisteraient des souffrances réfractaires et où le pronostic vital serait engagé à moyen terme. Il vise à mettre fin à des situations insupportables qui conduisent certains à se rendre à l'étranger pour mettre fin à leurs jours. Le rapport d'information de la commission des affaires sociales, s'appuyant sur l'appui du CCNE, affirmait en effet : « le cadre législatif actuel n'apporte pas de réponse à toutes les situations de fin de vie, en particulier lorsque le pronostic vital n'est pas engagé à court terme ». C'est pour répondre à de telles situations que cette loi ouvre un accès à une aide à mourir : c'est un texte de solidarité envers les personnes les plus vulnérables.

C'est également un texte d'équilibre, cette recherche d'équilibre étant indispensable pour légiférer sur de tels sujets : équilibre entre la solidarité à l'égard des personnes les plus vulnérables, par le développement des soins d'accompagnement, et le respect de l'autonomie individuelle, par l'ouverture de l'accès à une aide à mourir ; équilibre aussi entre l'ouverture d'une aide à mourir et les conditions strictes d'accès que nous avons définies. Cet équilibre est la condition d'une démarche éthique.

Dans son avis, le CCNE considère en effet « qu'il existe une voie pour une application éthique d'une aide active à mourir, à certaines conditions strictes ». Celles-ci, définies à l'article 6 du projet de loi, sont autant de garanties, pour les personnes concernées comme pour les professionnels de santé. L'aide à mourir ne peut être envisagée que pour les personnes majeures, de nationalité française ou résidant de façon stable et régulière en France, atteintes d'une affection grave et incurable qui engage leur pronostic vital à court ou moyen terme, et souffrant de douleurs insupportables ou réfractaires aux traitements, si elles en expriment la demande de manière libre et éclairée. Le Conseil d'État a souligné la « clarté » et la « précision » de ces conditions, qui sont proches de celles fixées par d'autres pays européens.

La procédure inscrite dans le chapitre III du projet de loi apporte également des garanties. Saisi d'une demande d'aide à mourir, le médecin devra s'assurer qu'il s'agit bien de l'expression d'une volonté libre et éclairée, apporter des informations et proposer des soins palliatifs, vérifier le respect des conditions, solliciter l'avis de deux autres professionnels de santé, et répondre au patient dans un délai de quinze jours. Dans ces moments de fin de vie, les patients ont besoin de présence et d'humanité. Ce texte leur garantit un accompagnement médical jusqu'au bout, de la naissance à la mort.

À travers ce débat, nous avons rendez-vous avec tous les Français. La fin de vie concerne chaque famille, chaque personne. Nous touchons à l'intime ; c'est la raison pour laquelle j'aborde cette discussion avec humilité et dans le respect de chacun. Notre objectif commun doit être la recherche de cet équilibre qui place le patient au cœur de la décision : nous devons respecter sa volonté et vérifier sa capacité pleine et entière à l'exprimer. Nous devons également garantir la place de l'expertise médicale, absolument essentielle dans la mise en place de l'aide, tout en assurant le respect des convictions des professionnels de santé.

Nous remettons désormais ce projet de loi entre vos mains pour un débat parlementaire qui sera important, rare, et animé de ce même esprit d'humilité, d'écoute et de respect.

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