Vous l'avez dit, monsieur le président, cette audition a pour objectif de vous présenter le projet de loi d'approbation des comptes pour 2023 et l'actualisation de notre trajectoire macroéconomique et de finances publiques dans le cadre du programme de stabilité.
Dans un premier temps, je reviendrai sur l'année 2023, dont les comptes traduisent d'abord une chose : nos dépenses ont été tenues.
S'agissant de l'État et des opérateurs, nous avons moins dépensé que prévu – et ce, à hauteur de 7 milliards d'euros. Ce résultat a été obtenu grâce aux mesures de pilotage engagées : nous avons augmenté la mise en réserve dès mai 2023 et pris un décret d'annulation de 5 milliards d'euros en crédits de paiement en septembre 2023 ; nous avons présenté une loi de finances de fin de gestion portant des annulations nettes dans le périmètre des dépenses de l'État ; nous avons renforcé le suivi de l'exécution des dépenses en fin de gestion, ce qui nous a permis d'aboutir à une exécution significativement inférieure à ce qui avait été indiqué dans la loi de finances de fin de gestion.
S'agissant des emplois, les recrutements de l'État sont conformes au budget adopté.
Au-delà de l'État, la trajectoire de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a été respectée. Les mesures de régulation ont permis de compenser les aides en trésorerie accordées aux hôpitaux au titre de l'inflation et le dépassement des dépenses de soins de ville. Les dépenses de santé liées à la crise sanitaire ont été significativement réduites, passant de près de 12 milliards d'euros en 2022 à 1 milliard d'euros en 2023.
S'agissant des collectivités locales, leurs dépenses de fonctionnement ont été dynamiques. Alors que la loi de programmation des finances publiques fixait une hausse des dépenses égale à celle de l'inflation, nous constatons qu'elles ont augmenté plus fortement, avec 5,9 %, alors que l'inflation hors tabac s'est élevée à 4,8 %.
Si les dépenses ont été globalement tenues, nous avons fait face à un ralentissement économique à l'échelle européenne et mondiale et à des difficultés conjoncturelles qui ont pesé lourdement sur nos finances publiques fin 2023, en particulier sur nos recettes. Au total, nous constatons 21 milliards d'euros de recettes en moins par rapport à ce que nous anticipions lors des débats au Parlement, en octobre et en novembre. Cet écart se décompose ainsi : 4,4 milliards pour l'impôt sur les sociétés, 4,3 milliards pour la TVA, 2,7 milliards pour la contribution sur la rente inframarginale de la production d'électricité (Crim), 200 millions pour les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), 1,4 milliard pour l'impôt sur le revenu (IR), 4,8 milliards pour les cotisations sociales et 1,4 milliard pour les prélèvements sociaux sur l'activité.
Certains nous reprochent de ne pas avoir pris en compte ce retournement lors de l'examen des textes financiers à l'automne. En décembre, les administrations de Bercy ont fait état d'un risque de déficit plus élevé que ce que nous attendions tout en alertant sur le risque de communiquer sur un tel chiffre eu égard aux nombreuses incertitudes qui l'entouraient. À cette date, la loi de finances de fin de gestion pour 2023 était promulguée depuis une semaine et ne pouvait donc pas être modifiée.
De tels écarts avec les prévisions de recettes ont déjà eu lieu. Je citerai deux exemples : en 2013, la chute des recettes avait entraîné un écart entre l'objectif du projet de loi de finances et le déficit constaté de 1,3 point de PIB, soit 25 milliards d'euros et, en 2011, l'État avait vu ses recettes baisser, notamment de 700 millions pour l'impôt sur le revenu et de près de 6 milliards pour l'impôt sur les sociétés (IS).
Cette année, par ailleurs, un changement de méthode appliqué par l'Insee a modifié le périmètre des administrations publiques, ce qui a conduit à dégrader le déficit public de près de 4 milliards d'euros.
Vous venez d'auditionner M. Pierre Moscovici. Je rappelle que le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) estimait lui-même cet automne que la prévision de déficit de 4,9 % était « vraisemblable au vu notamment des informations disponibles » et que nos prévisions de recettes étaient « plausibles ».
En résumé, l'exercice 2023 a été marqué par des dépenses globalement maîtrisées, mais par de moindres recettes dans une conjoncture difficile, comme l'a souligné le Haut Conseil des finances publiques dans son avis du 15 avril 2024. C'est d'ailleurs dans ce contexte que nous ajustons notre trajectoire de finances publiques dans le cadre du programme de stabilité.
Face à cette conjoncture plus difficile, Bruno Le Maire a révisé notre prévision de croissance à 1 % pour 2024, en cohérence avec ce qu'ont fait nos voisins européens, et nous avons pris un décret d'annulation de 10 milliards d'euros – j'y reviendrai. Malgré la révision de notre croissance en 2024, ses fondamentaux restent solides, soutenus par les réformes structurelles et les investissements engagés depuis 2017 et, de façon plus conjoncturelle, par l'accélération de la consommation des ménages permise par la baisse de l'inflation et la baisse de leur taux d'épargne. Le 11 avril, la Banque de France a conforté cette prévision en constatant une hausse de 0,2 % du PIB au premier trimestre, ce qui n'est « pas incompatible avec une prévision de 1 % de croissance sur l'année ». La prévision gouvernementale de croissance, si elle est jugée optimiste, n'est pas hors d'atteinte d'après le dernier avis du Haut Conseil des finances publiques. Elle est d'ailleurs proche de celle de la Commission européenne, qui est de 0,9 %. Enfin, elle est conforme aux indicateurs conjoncturels. Le climat des affaires retrouve sa moyenne de long terme et la confiance des ménages se redresse. La trajectoire que nous présentons dans ce programme de stabilité s'inscrit donc dans un contexte de croissance préservée.
La boussole du retour sous la barre des 3 % de déficit à horizon 2027 guide notre action. Pour atteindre cet objectif, nous réajustons notre trajectoire avec une première marche crédible qui tient compte de l'exécution de 2023 et de la révision de la croissance de 2024 : l'objectif est de ramener le déficit de 5,5 % à 5,1 % en 2024. La suite de la trajectoire est également modifiée : 2,9 % en 2027, après 3,6 % en 2026 et 4,1 % en 2025.
On ne change pas une politique économique qui a fait ses preuves. Nous continuons de mener une politique de soutien à la croissance, à la création d'emplois et à l'activité partout sur notre territoire. Depuis 2017, 2,4 millions d'emplois ont été créés. Le taux de chômage est au plus bas depuis quarante ans et la réindustrialisation permet à notre pays d'être l'une des locomotives de la croissance européenne.
Pour tenir notre objectif pour 2024, je rappelle l'effort déjà consenti dans le cadre du décret de février 2024 qui a annulé 10 milliards d'euros de crédits dans l'ensemble du budget de l'État. Ce décret a conduit à des mesures d'économie et à des reprogrammations dans tous les ministères. Nous avons notamment réduit les dépenses de fonctionnement de l'État et des opérateurs. Ce décret concrétise la poursuite de nos efforts vers un État plus sobre – des efforts qui nous ont déjà conduits à réduire de 150 millions d'euros la facture énergétique de l'État, à céder pour 280 millions d'euros de biens immobiliers et à diviser par trois en deux ans les dépenses de conseil. Nous avons aussi reporté certains investissements immobiliers ou informatiques non encore lancés. Nous avons réduit nos dépenses d'aide publique au développement. Nous avons resserré le compte personnel de formation en mettant en place un ticket modérateur. Nous avons mobilisé la trésorerie des opérateurs dans tous les périmètres, notamment pour ceux relevant du ministère de l'économie et du ministère de la culture. Ces mesures rapides et ciblées visent à ajuster le niveau de nos dépenses à celui de nos recettes.
Pour tenir l'objectif de 5,1 % en 2024, nous savons déjà qu'un effort supplémentaire estimé à 10 milliards d'euros sera nécessaire.
Pour l'État, une part importante de la réserve de précaution, qui représente plus de 7 milliards d'euros, ne sera pas utilisée. Les ministères devront tenir leur budget dans les crédits disponibles et nous allons piloter la gestion au mois le mois, dépense par dépense, pour le garantir. En cas d'alerte d'insoutenabilité, les seuils au delà desquels un visa de Bercy sera nécessaire pour engager la dépense seront réduits, pour un contrôle quasi systématique. Ces mesures de bonne gestion ne remettent en cause ni nos priorités ni les grands équilibres du budget pour 2024. Les dépenses vertes, ainsi que les budgets de la sécurité intérieure, des armées, de la justice, de l'éducation nationale et de la recherche, continuent de progresser.
La maîtrise de nos dépenses publiques est un effort partagé avec les collectivités territoriales. Avec Bruno Le Maire, Christophe Béchu et Dominique Faure, j'ai eu l'occasion de le redire devant le Haut Conseil des finances publiques locales (HCFPL). Conformément à la loi de programmation des finances publiques (LPFP), l'objectif pour la période 2024-2027 est de maintenir la progression des dépenses de fonctionnement légèrement en dessous – 0,5% – de l'inflation, soit 1,9 % d'augmentation au maximum en 2024. Cet objectif n'a pas varié depuis le débat et l'adoption de la loi de programmation des finances publiques en décembre. Pour l'atteindre, il faut se poser la question de l'efficacité de l'action publique, de l'enchevêtrement des responsabilités et de la façon de réduire le coût de notre action publique.
Je demeure convaincu que c'est par le dialogue que l'État et les collectivités territoriales parviendront ensemble à construire des solutions face à la dégradation de nos finances publiques. C'est pourquoi les instances de dialogue comme le Haut Conseil des finances publiques locales sont importantes. La réunion de ce Haut Conseil du 9 avril a permis d'évoquer de nouveaux thèmes de travail conjoint entre l'État et les associations d'élus.
Dans le champ social, nous poursuivrons nos efforts de maîtrise de la dépense afin de tenir la trajectoire prévue, notamment pour l'Ondam, et nous continuerons d'appliquer notre stratégie économique payante en poursuivant les réformes structurelles pour plus de travail, plus de croissance et plus de recettes.
Concernant les recettes, je l'ai dit et je le redis ici, nous n'envisageons pas de changer notre politique fiscale. Comme nous l'avons fait par le passé pour les énergéticiens, les sociétés d'autoroutes, les raffineurs de pétrole ou les laboratoires de biologie, des mesures seront prises en 2024 sur la base des travaux des parlementaires, comme l'a annoncé le Premier ministre. Je pense en particulier au rapporteur général Jean-René Cazeneuve, à Mme Nadia Hai, au président Jean-Paul Mattei et à M. François Jolivet, qui auront l'occasion de présenter leurs conclusions d'ici l'été. Nous nous sommes déjà engagés à travailler à la question des énergéticiens et des rachats d'actions.
J'en viens à l'année 2025. Nous pourrons compter sur une croissance solide, estimée à 1,4 %, grâce à la consommation des ménages et au rebond de l'investissement des entreprises et du commerce extérieur. Malgré cette croissance solide, un effort important restera à faire, prioritairement pour les dépenses, avec un objectif de déficit à 4,1 %. Pour y parvenir, nous devrons faire des économies dans tous les champs. Le travail est déjà engagé avec les revues de dépenses, qui doivent nous permettre d'identifier le plus finement possible nos marges de manœuvre. Ce travail, qui doit nous permettre de maintenir un haut niveau d'ambition en matière de réformes structurelles, est également engagé avec vous, parlementaires, grâce au dialogue que nous avons commencé à mener à l'Assemblée comme au Sénat.
Dans la période que nous traversons, je réaffirme la détermination du Gouvernement à maîtriser notre dépense, à tenir nos objectifs et à préparer l'avenir. Ce travail exigeant se fera avec vous, grâce au dialogue toujours sincère que j'ai à cœur de mener depuis neuf mois.