Les plans de préparation relèvent souvent de l'obligation des collectivités locales, mais c'est le rôle du préfet que de les challenger – ce n'est sans doute pas le bon mot devant une commission d'enquête française – afin de bien s'assurer qu'elles les élaborent. Quand elles ne peuvent pas le faire, par manque de moyens, notamment d'ingénierie, il arrive en outre-mer que l'État mette la main à la pâte. Cela relève certes de la compétence du ministère de la transition écologique et de celle des collectivités locales, mais le préfet agit au nom de tout le Gouvernement et, outre-mer, la communauté de l'État travaille moins en silo que dans l'Hexagone. Le préfet a bien pour rôle d'aider les collectivités à élaborer ces plans, qui ne peuvent être purs et parfaits. L'habitat informel doit effectivement être pris en compte. Nous menons un gros travail pour le résorber, pour des raisons de salubrité, de lutte contre l'immigration irrégulière, contre la privation de propriété privée et contre l'insécurité, et pour prévenir les drames à la suite de catastrophes naturelles qui peuvent rapidement survenir quand un cyclone passe sur un logement en tôle ondulé abritant des enfants. La lutte contre les bangas à Mayotte répond à ces préoccupations. Il est donc important de pouvoir intervenir et, si j'ose dire, de « forcer » les élus à rendre à temps les bons documents, qui doivent notamment prendre l'informel en compte.
Je me suis rendu à La Réunion après le passage de Belal. Nous avons tiré des leçons de l'expérience de l'ouragan Irma à Saint-Martin, mais j'ai surtout été frappé de voir que les habitants qui avaient respecté les plans locaux d'urbanisme (PLU), les plans de sauvegarde et les permis de construire, qui imposaient une surélévation des habitations, avaient pu éviter les effets de l'inondation provoquée par le débordement du canal voisin alors que ceux qui, dans le même pâté de maison, ne l'avaient pas fait ont vu leur maison inondée avec des enfants qui avaient failli se faire surprendre par la brusque montée des eaux. Ces plans permettent donc de sauver des biens et, surtout, des vies.
Pour ce qui concerne l'État, les plans Orsec, élaborés sous l'autorité des préfets, doivent être mis à jour tous les cinq ans. Il a été demandé à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises et aux inspections de contribuer à la mise à jour de l'état des lieux des risques majeurs. Avec le réchauffement climatique, les choses changent en effet très vite.
Les plans de sauvegarde, les plans Orsec et tout le travail réalisé par les responsables en cas de crise ne sont connus que des seuls sachant. La question de notre capacité à informer les populations est donc très importante, tout comme l'est celle de la prévention.
À cet égard, Météo-France est en mesure, depuis l'achat de supercalculateurs de plusieurs dizaines de millions d'euros au début du quinquennat – je m'en souviens très bien, j'étais alors ministre des comptes publics –, de beaucoup mieux anticiper les phénomènes météorologiques. Je suis bien placé pour vous dire toute l'importance de la précision des prévisions afin d'éviter le risque de se laisser surprendre par le déchaînement des éléments, qui peut empêcher un avion de décoller ou un navire de se rendre sur place. Nous travaillons en coopération avec Météo-France et leur travail très précis nous est précieux.
Il nous reste sans doute à continuer à améliorer la précision des calculs sur les risques volcaniques et à travailler sur les réseaux de communication.
Par exemple, lors de la tempête Alex qui a frappé les Alpes-Maritimes, une très grande partie des réseaux de communication des policiers, des gendarmes et des pompiers sont tombés en panne. Je me rappelle avoir accompagné le Premier ministre Castex, dans un hélicoptère à bord duquel se trouvait un seul officier de sécurité : nous ne savions pas ce que nous allions trouver en atterrissant dans la Vésubie, où les habitants étaient isolés depuis des heures.
Dans les cirques de La Réunion, dans des endroits très escarpés de Guyane, de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie, ou encore sur certaines îles, il convient de prédisposer des moyens de communication satellitaire permettant de téléphoner et d'informer les autorités des événements survenus. À défaut, il sera très difficile d'envoyer des vivres, de la nourriture ou des médicaments dans les territoires sinistrés, ou de savoir s'il faut intervenir très vite ou si l'on peut attendre un peu.
Il faut aussi équiper nos gendarmes, nos policiers et nos pompiers d'un système de radio efficace et résilient. C'est ce que nous faisons en développant le réseau radio du futur, dont le principe a été voté dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur et qui aidera toute la communauté du secours, grâce notamment à la possibilité de géolocaliser les utilisateurs.
Il faut enfin que le système FR-Alert, dont chaque utilisation se solde par un succès, couvre rapidement l'ensemble des territoires ultramarins, qui n'en sont pas encore tous dotés alors qu'ils sont sans doute les endroits où les alertes sont les plus fréquentes.
Le Beauvau de la sécurité civile nous permettra de réfléchir à la nécessaire modernisation de cette politique publique et à l'actualisation des risques. Je pense notamment au réchauffement climatique, qui favorise les feux de forêt, jusqu'alors assez rares dans les outre-mer mais désormais de plus en plus fréquents. La question de la prédisposition des moyens se pose en effet.
Je pense vous avoir dit qu'il y avait cinq formations militaires de la sécurité civile (Formisc) aux Antilles et cinq autres à La Réunion, qui est la préfecture de zone dont dépend Mayotte. La loi de finances pour 2024 prévoit la création d'une nouvelle unité, basée à Libourne. La multiplication de ces formations permet une projection assez rapide sur les théâtres d'opérations, même depuis l'Hexagone, qui est le meilleur point de départ pour aller n'importe où dans les outre-mer, car on ne sait jamais où auront lieu les événements majeurs. Il vaut mieux partir de Paris pour aller dans le Pacifique ou à Saint-Pierre-et-Miquelon que de Saint-Pierre-et-Miquelon pour aller à La Réunion ou à Mayotte. Les Formisc ont été très présentes dans la résolution de la crise de l'eau, à Mayotte, et après le passage du cyclone Belal, à La Réunion ; aidées par les moyens de l'armée, elles se sont déployées très rapidement. Je précise d'ailleurs que les membres de ces formations sont des militaires, même s'ils dépendent du ministère de l'intérieur.
La question des moyens aériens mis à la disposition de forces de sécurité civile se posera avec de plus en plus d'acuité. Je pense aux hélicoptères, aux avions, mais également aux Canadair, qui deviendront nécessaires lorsque les effets du réchauffement climatique se feront davantage sentir.
Une difficulté spécifique à la Nouvelle-Calédonie est que, dans cette collectivité, la sécurité civile est une compétence du gouvernement local. Pour avoir désormais des échanges assez nourris avec l'ensemble des élus de Nouvelle-Calédonie, je peux dire qu'il n'est pas certain que le pays ait les moyens de constituer une sécurité civile modernisée, prête à faire face aux effets du réchauffement climatique et au recul du trait de côte, qui pourrait entraîner la disparition d'une partie d'Ouvéa.
J'en arrive à votre question relative aux pillages. Je vois trois raisons pour lesquelles les choses se sont passées différemment à La Réunion et à Saint-Martin.
Premièrement, nous avons considérablement augmenté, partout dans les outre-mer, le nombre de policiers et de gendarmes à la disposition des préfets, ce qui donne à ces derniers davantage de moyens pour intervenir. En 2017, à Saint-Martin, les forces de l'ordre étaient beaucoup moins nombreuses.
Deuxièmement, à La Réunion, l'alerte à la population a bien fonctionné : quarante-huit heures avant le passage du cyclone Belal, tout le monde était informé et a donc pu faire ses courses et s'organiser. À Saint-Martin, en revanche, les gens ont été prévenus très tardivement, car Météo-France n'était pas aussi efficace : ils n'ont donc pas pu anticiper l'achat d'eau et de vivres. À La Réunion, on était capable de prévoir l'évolution de la situation à l'heure près. À un moment, on a même interdit aux pompiers de sortir – ils l'ont fait quand même, pour sauver un individu bloqué dans un ascenseur, qui était en train de se noyer. Les habitants ont pu s'organiser, retrouver les personnes isolées et distribuer des vivres pour éviter les pillages d'opportunité, de survie, perpétrés pour se nourrir. Les pillages crapuleux ont ainsi pu être davantage sanctionnés, d'autant que les forces de l'ordre étaient plus nombreuses.
Troisièmement, la Lopmi a donné au préfet, en cas de crise, une compétence générale sur tous les services de l'État assortie d'un pouvoir de réquisition. Cette disposition, que vous avez votée, permet au représentant de l'État d'être véritablement le chef de son département, de sa région ou de son territoire. Le pouvoir de réquisition dont il dispose désormais lui permet à la fois de rétablir l'ordre public et de remédier aux problèmes. Alors que les élus sont parfois un tantinet contestataires vis-à-vis des préfets, notamment dans les outre-mer, tous les élus de La Réunion, de la présidente du conseil régional aux parlementaires de la NUPES, ont salué le travail du préfet Filippini et de ses équipes. Certes, nous devons rester modestes, car La Réunion n'est pas Saint-Martin. La gestion de ce type d'événements est sans doute plus difficile en Guyane et aux Antilles que dans nos territoires de l'océan Indien et du Pacifique, où la violence est moins forte – sauf à Mayotte, mais pour d'autres raisons, que vous connaissez bien. Quoi qu'il en soit, nous avons beaucoup progressé.
S'agissant enfin d'un éventuel projet de loi, je ne peux pas vous annoncer d'emblée un calendrier parlementaire. Nous étudierons avec beaucoup d'intérêt les propositions de la commission d'enquête. Si elles concernent de nombreuses dispositions de nature législative, peut-être pourront-elles faire l'objet d'un ou plusieurs textes, d'initiative parlementaire ou gouvernementale. Je pense que nous saurons trouver une majorité, pas très marquée politiquement, pour sauver nos outre-mer en cas de difficulté. Cependant, je n'ai pas d'information particulière concernant le projet de loi que vous évoquez.