Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du jeudi 11 avril 2024 à 15h00
Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer :

Vous m'interrogez dans le cadre d'une commission d'enquête et j'essaierai évidemment, sur la base des informations dont je dispose et dans une logique de transparence, de tirer tous les enseignements utiles de l'expérience que j'ai eue depuis que les outre-mer ont été rattachés à mon portefeuille, voici deux ans, et des études que nous avons pu commander pour vos travaux.

Si la principale mission du ministère de l'intérieur et des outre-mer en matière de risques naturels est surtout, vous le savez, de gérer la crise, une fois celle-ci déclarée, afin de secourir les personnes – je salue tous ceux qui y concourent, les sapeurs-pompiers, les associations de protection civile, les agents des préfectures, les policiers et les gendarmes –, nous faisons aussi de la prévention. Celle-ci relève souvent du ministère de la transition écologique, des collectivités ou des gouvernements autonomes, quand ils existent, mais le ministère de l'intérieur ne peut pas ne pas voir qu'il a un rôle à jouer sur le plan de la prévention des risques, s'agissant des personnes comme des biens. Vos travaux m'intéressent donc dans leur globalité et à toutes les échelles.

Je me suis souvent rendu dans des territoires connaissant des risques naturels avérés au point que des drames s'y déroulent. Avant même de prendre mes fonctions au ministère de l'intérieur et des outre-mer, j'avais accompagné le Président de la République à Saint-Martin, car les douaniers et un certain nombre de reconstructions relevaient du ministère des comptes publics. Je me suis déplacé à La Réunion plus récemment, fin janvier, après le passage de l'ouragan Belal, pour montrer aux agriculteurs, aux citoyens et aux collectivités locales que nous étions auprès d'eux en cas de drame – quatre personnes avaient perdu la vie – et en matière de reconstruction économique et sociale.

Le ministère de l'intérieur et des outre-mer est celui des crises – c'est même le ministère de la gestion des crises. Qu'il s'agisse de l'Hexagone ou des territoires ultramarins, chaque crise et chaque événement doivent faire l'objet d'une prise en charge efficace des personnes et des biens – j'insiste sur ces deux points. L'ensemble des centres opérationnels des préfectures sont, notamment, en alerte permanente et nous font remonter, quand il y a une crise ou juste avant, en temps réel et en lien avec les préfectures, tous les éléments permettant d'assurer la coordination des services de secours. Nous laissons souvent au préfet le soin de prendre des décisions, mais nous avons des informations en temps réel.

S'il existe une dualité constituée de l'échelon local, dirigé par le préfet ou le haut-commissaire, et de l'échelon national, dirigé par le ministère de l'intérieur, au travers du directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, tous les acteurs locaux sont impliqués, notamment les collectivités locales, dans le cadre du binôme sacré maire-préfet, bien connu depuis le covid. En cas de crise, le maire est sans doute le premier agent de la sécurité civile, avant même l'arrivée des professionnels. Le modèle associant le maire, le préfet et les autorités nationales prouve sa pertinence à chaque crise. Si on se compare à d'autres pays, notre modèle, qui est confronté à de nombreuses crises, en matière sanitaire, sociale, climatique mais aussi sécuritaire, dans tous nos territoires ultramarins, est le plus résilient et celui qui empêche le maximum de morts et de destructions.

Comme les travaux de votre commission d'enquête me concernent plus ou moins directement selon les sujets, vous ne m'en voudrez pas de limiter le champ de mes propos aux questions qui me sont propres. Je rappelle aussi que mon collègue Christophe Béchu a déjà été entendu par votre commission.

Le territoire français est très largement soumis à des risques naturels. J'ai déjà parlé du cyclone Belal, mais je pourrais aussi évoquer la tempête Ciarán, qui a touché le Finistère et le Pas-de-Calais, la tempête Alex, qui a frappé les Alpes-Maritimes, ou encore les mégafeux de forêt en Gironde. Nous nous nourrissons de ces crises, dans l'Hexagone et dans les outre-mer, pour renforcer les scénarios élaborés partout sur le territoire national et pour prédisposer des moyens, auxquels nous consacrons des investissements.

Je souligne, par ailleurs, que les évolutions climatiques vont rendre ces phénomènes naturels de plus en plus nombreux et de plus en plus violents et que nos outre-mer seront les premiers concernés. Je pense au recul du trait de côte – en Nouvelle-Calédonie, par exemple, 75 % des personnes habitent sur une côte qui pourrait subir demain une érosion –, à la disparition d'îles ou d'atolls – en Polynésie française –, à la sécheresse, qui a sévi à Mayotte d'une manière absolument terrible, aux cyclones, aux ouragans et aux tremblements de terre. Ces calamités, qui seront sans doute de plus en plus fréquentes en raison du réchauffement climatique, touchent nos territoires ultramarins, en premier lieu ceux du Pacifique, puis ceux de l'océan Indien et des Antilles, comme elles touchent tous les territoires, mais les autres ont une difficulté supplémentaire qui est de ne pas avoir le modèle de sécurité civile et d'investissement de la France.

Ces événements font désormais partie du quotidien des élus et des représentants publics des territoires ultramarins. Plus personne, quels que soient son lieu de résidence et son niveau social, ne peut s'estimer totalement à l'abri. À la différence de l'Hexagone, les départements d'outre-mer sont soumis à un cocktail de risques : sauf celui d'avalanche, ils existent tous outre-mer – inondations, séismes, éruptions volcaniques, cyclones, tempêtes, mouvements de terrain et feux de forêt peuvent se produire, ainsi que peut-être des tsunamis en cas de cumul d'événements, comme on l'a vu dans des territoires proches. Ce cocktail de crises impose d'avoir à disposition un cocktail de réponses, si j'ose dire, dans chacun des territoires, ce qui est d'autant plus difficile qu'ils sont parfois très éloignés du centre de décision qu'est l'Hexagone. Cette spécificité implique une préparation et une anticipation extraordinaires. Tel est, en particulier, l'objet des plans Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) que vous connaissez bien et qui démontrent à chaque fois leur efficacité.

Les phénomènes les plus forts sont de plus en plus récurrents : quasiment toutes les collectivités dont nous parlons sont soumises à plusieurs d'entre eux chaque année. S'ils ne sont pas tous d'une intensité extrême, s'ils ne causent pas tous des morts ou des blessés, ils nécessitent toujours l'existence d'une capacité de prévention et d'intervention le plus en amont possible. En cela nous sommes notamment aidés par les grands progrès réalisés par Météo-France, que je tiens à saluer. La récurrence de ces phénomènes naturels permet, par ailleurs, de mieux appréhender leurs impacts et donc de mieux nous préparer. Prévoir est le principal travail à faire en matière de sécurité civile : comme le dit le dicton, il vaut mieux prévenir que guérir.

La distance et l'insularité, autres spécificités des territoires ultramarins, à l'exception de la Guyane, même si on peut la considérer comme une sorte d'île, puisqu'elle est encadrée par des fleuves, doivent être intégrées dans les dispositifs de gestion de crise. De fait, les renforts mettent parfois un certain temps à venir du territoire national ou de grands pays voisins. Une coopération efficace avec les acteurs locaux est donc essentielle, de même que la prédisposition de moyens et la culture du risque au sein de la population. Lors du dernier cyclone à la Réunion, les équipes locales ont œuvré dès la fin de l'alerte violette, c'est-à-dire avant l'arrivée des premiers renforts en provenance de Mayotte.

Pour organiser la réponse, il faut installer très amont des équipements, renforcer la formation des équipes sur place et permettre le transport du matériel et des personnes. La loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), que vous avez votée à une large majorité, prévoit pour la première fois un volet spécifique aux outre-mer, notamment la mise en place de détachements militaires de la sécurité civile, les fameuses Formisc, dans l'océan Indien et aux Antilles, avec du matériel et de l'équipement pour permettre, en cas de catastrophe, d'organiser la réponse sans attendre l'arrivée de renforts nationaux. L'accroissement du nombre des événements et de leur intensité impose, par ailleurs, de développer des actions de communication et de sensibilisation des populations aux risques, en fonction des territoires. On sauve des vies, sans attendre qu'un drame ait lieu, en répétant certains gestes.

Si les territoires ultramarins ont d'ores et déjà fait montre de leur très grande capacité de résilience, de reconstruction, notamment pendant la période du covid, il faut se préparer aux cocktails de risques que j'ai évoqués – nous devons en particulier préparer la jeunesse, qui sera sans doute encore plus concernée. Face aux phénomènes cycloniques, on range tout ce qui peut s'envoler, on protège les parois vitrées dans certains cas, on se met en sécurité et on construit, si possible en commun. La République est grande dans ses territoires ultramarins. J'ai inauguré, par exemple, dans une île des Tuamotu comptant 450 habitants une école anticyclone sur laquelle nous travaillions depuis longtemps. D'ici à la fin du quinquennat du Président de la République, 75 % des îles de la Polynésie française auront un abri cyclonique qui servira par ailleurs à un autre usage – il s'agira d'écoles, de mairies ou encore de lieux de santé. Quand une population est prévenue du lieu où il faut se rassembler, des premiers gestes à appliquer et de la façon dont elle doit communiquer, des vies sont sauvées, ce qui est le premier but de la prévention des risques outre-mer.

C'est grâce à la vigilance et à l'action de la population que le bilan est très souvent limité, notamment lorsque les services de secours ne sont pas saturés par des appels généralisés. La prévention a besoin de visibilité pour être bien intégrée et pleinement assimilée, au quotidien. Les semaines Sismik et Réplik, organisées respectivement en Guadeloupe et en Martinique, sont des exemples de campagnes de prévention réussies. La journée de résilience, que nous avons lancée en 2022, doit mobiliser encore plus largement, chaque 13 octobre, les populations ultramarines et hexagonales. Nous devons travailler à la japonaise, si j'ose dire, en mettant le citoyen au cœur de la sécurité civile au lieu de le traiter comme un simple partenaire. C'est l'objet des journées de la résilience que nous devons généraliser. Je crois, par ailleurs, que les gestes et le comportement de sécurité civile devraient avoir une présence plus marquée dans le cadre de la généralisation du SNU (service national universel) et dans ce que fait déjà le RSMA (régiment du service militaire adapté).

Pour nous adapter, il faut aussi que le risque soit mieux connu. Des travaux ont été effectués par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, qui dépend de mon ministère et des inspections, pour mieux appréhender les impacts des différents phénomènes que nous évoquons.

Les nouveaux risques doivent aussi être considérés. Je pense notamment à la découverte d'un nouveau volcan à proximité de Mayotte en 2019, qui a largement changé les priorités d'action locale pour prendre en compte les risques émergents.

Le ministère lancera le 23 avril prochain le Beauvau de la sécurité civile. Il sera l'occasion d'une grande réflexion sur la sécurité civile, sur les nouveaux enjeux que doivent relever les sapeurs-pompiers et les collectivités, surtout ceux liés aux nouvelles technologies comme l'intelligence artificielle, qui permet la prédictibilité, et au réchauffement climatique, qui change les modalités de fonctionnement. Les territoires ultramarins y seront pleinement associés et j'organiserai moi-même un Beauvau de la sécurité civile dans au moins un territoire ultramarin avec la ministre déléguée chargée des outre-mer.

Le renforcement de la coopération régionale répond à un enjeu d'efficacité et permet de mener une diplomatie régionale. La France apporte des moyens – comme elle l'a fait par exemple pour le Vanuatu au lendemain du cyclone qui a touché le nord de la Nouvelle-Calédonie – et en récupère. La coopération régionale permet en outre de mettre en avant nos territoires. La réponse de l'État en outre-mer, sur le volet sécurité civile et assistance en cas de catastrophe naturelle, demande une organisation que tous les États voisins ne sont pas en mesure d'assurer et j'ose dire que seule la France est capable d'apporter un soutien identique à celui de l'Hexagone sur toutes les mers du monde. Elle le fait par solidarité et parce que tous les territoires ultramarins sont parties intégrantes du territoire national, y compris les plus retirés, comme Wallis-et-Futuna et, d'un certain point de vue, Saint-Pierre-et-Miquelon où nous travaillons à la prévention – je rappelle que, grâce au fonds de prévention des risques naturels majeurs dit fonds Barnier, nous sommes en train de réaliser le déménagement du village de Miquelon en coordination avec le ministère de la transition écologique.

À titre d'illustration, l'accord Franz (France, Australie, Nouvelle-Zélande) de 1992 régit la coopération des trois pays au profit des États insulaires du Pacifique, victimes de catastrophes naturelles majeures. Nous pouvons espérer que cet accord incite ces États à faire appel à des puissances occidentales plutôt qu'à de grandes puissances asiatiques, sans arrière-pensée. Depuis 2019, la Croix-Rouge française, que je remercie, pilote le programme Ready Together, grâce à sa plateforme d'intervention régionale Amériques-Caraïbes (Pirac), destiné à renforcer la préparation aux catastrophes des pays caribéens et à mieux coordonner l'aide. La France a tout intérêt à étendre son œuvre de coopération. La diplomatie de la sécurité civile permet en effet souvent de jeter des ponts avec des populations qui ne parlent pas forcément spontanément avec nous.

Enfin, les systèmes qui marchent dans l'Hexagone, comme FR-Alert, seront étendus dans les prochains mois et dans les prochaines années à tous les territoires ultramarins. FR-Alert a été mis en place après l'incendie de l'usine Lubrizol – la France a été le premier pays au monde à utiliser un tel système – et a déjà permis de sauver des vies au cours des dernières tempêtes qui ont touché le nord de la France et la Bretagne. Ce système utilise la technologie Cell Broadcast grâce à laquelle tout téléphone, même si la personne n'a pas fourni son numéro, peut recevoir des informations. Il permettra de toucher tous les citoyens pour les prévenir en cas d'alerte météo ou volcanique.

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