Intervention de Joël Ronez

Réunion du jeudi 28 mars 2024 à 11h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Joël Ronez, président du PIA :

Gaspard G a mis en évidence le fait que les médias d'héritage ne remplissent plus forcément leur rôle. J'ajouterais que nous sommes dans un système paradoxal où tout le financement est capté par les médias d'héritage tandis que les nouveaux médias reçoivent très peu, voire rien. J'ai quitté les médias d'héritage parce que mes enfants n'écoutaient pas la radio dans laquelle je travaillais et qu'ils ne regardaient pas la télévision. Aujourd'hui encore, ils regardent les contenus de Gaspard G, de Cyprien, ils écoutent aussi quelques podcasts. Il me semble que l'Assemblée nationale doit se saisir de ce sujet.

Le podcast est en avance sur les tendances mais il n'a aucun statut. C'est une œuvre sonore sans régime. Ce n'est pas de la presse, parce qu'il n'est pas écrit. Ce n'est pas de l'audiovisuel, parce qu'il n'y a pas d'images qui bougent. Ce n'est pas non plus de l'édition phonographique. Le podcast ne bénéficie d'aucun dispositif et doit se financer tout seul avec de la publicité, de la prestation, du brand content et des produits dérivés ou en faisant payer son public.

Comme il n'y a pas de statut de l'œuvre sonore, il n'y a pas de présomption de cession de droits. Il n'y a pas de présomption selon laquelle la signature d'un contrat entre un employeur et un producteur emporte cession des droits d'auteur. C'est un problème dont tout l'enjeu est de faciliter le processus de création, sécuriser les investissements, et de garantir une juste rémunération de tous, les créateurs en premier.

Il n'y a pas non plus de statut collectif adapté, pas de convention collective de l'audio numérique ou de la création numérique au sens large. Ainsi, les membres du PIA font partie de la convention collective de la production audiovisuelle et appliquent des barèmes, des nomenclatures et des minima qui ne correspondent pas du tout à leur économie.

L'absence d'aide à la création est un autre problème, peut-être le plus important.

Le podcast n'est pas éligible au crédit d'impôt alors que ce mécanisme est omniprésent dans la création culturelle. Même les youtubeurs ont des aides.

Il n'y a pas non plus d'aide à la production sur le modèle du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), qui est un modèle très performant que le monde entier nous envie, y compris les Américains.

Enfin, il n'y a pas de partage avec les plateformes. Celles-ci expliquent qu'elles n'hébergent pas les podcasts et qu'elles se contentent de liens hypertextes. Par conséquent, elles estiment qu'elles n'ont pas à participer au financement des œuvres. C'est la même posture que Google avant l'invention du droit voisin, et c'est un problème.

En revanche, nous participons à la rémunération des auteurs. Les 35 membres du PIA investissent chaque année 5 millions d'euros dans la rémunération des auteurs et des compositeurs. Nous payons aussi des organismes de gestion collective (OGC), la Société civile des auteurs multimédia ‒ Scam ‒ et la Société des auteurs-compositeurs dramatiques ‒ SACD ‒ alors qu'il n'y a pas de plafond.

Nous considérons que la création sonore est la grande oubliée de la politique culturelle, alors même qu'elle touche des nouveaux publics et qu'elle participe au rayonnement de la production française à l'étranger.

Par ailleurs, il n'existe aucune réglementation relative aux quotas de production, ni de dispositif de contrôle sur les plateformes. Ainsi, parmi les podcasts les plus populaires des grandes plateformes, vous trouvez des podcasts racistes, masculinistes, d'extrême droite ou pro-russes.

Le modèle économique est par ailleurs fragile. Le marché du podcast génère 2 milliards de dollars de recettes publicitaires aux États-Unis contre 400 millions d'euros sur l'ensemble des pays européens. Pour la France, ce sont quelques dizaines de millions d'euros. L'absence d'aides contribue également à cette fragilité. Pour nous financer, nous pouvons recourir aux levées de fonds mais les entreprises les plus dynamiques en la matière sont scandinaves, américaines ou chinoises. Ce sont elles qui rachètent les sociétés françaises. Nous ratons l'opportunité de constituer un tissu industriel puissant dans le secteur de la création sonore.

Je terminerai en évoquant l'intelligence artificielle, Elle peut être utilisée pour retranscrire des podcasts en textes pour servir au machine learning des grands systèmes américains, etc. Elle peut aussi être utilisée de n'importe quel endroit dans le monde pour créer des podcasts dans différentes langues à partir d'un texte, y compris en français.

Nous défendons pour notre part la production localisée en France. La culture est un des rares biens qui ne peut pas être délocalisé en Chine ou au Bangladesh. Faisons en sorte de garder cette production dans notre pays.

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