Je suis à la tête d'un néo-média qui porte mon nom. J'ai 26 ans et j'ai commencé à faire des vidéos sur internet il y a un plus de 15 ans.
J'ai toujours rêvé d'être journaliste et en même temps j'aimais la technologie et ce qu'offrait le monde des plateformes, notamment YouTube dès son lancement en France à partir de 2007. J'ai été pendant longtemps un amateur ; jamais je n'aurais cru pouvoir vivre de cette activité un jour.
Aujourd'hui pourtant, comme beaucoup de créateurs et créatrices de contenu, j'en vis et, par ailleurs une équipe entière m'entoure, dédiée à la création de ces vidéos. C'est un nouveau modèle assez particulier. C'est une responsabilité, aussi, qui n'est pas exactement alignée avec les moyens dont nous disposons pour nous développer.
Je me suis lancé à temps plein après mes études en école de commerce, il y a trois ans, avec l'ambition de proposer une nouvelle manière d'informer. Je n'ai pas fait d'études de journalisme. Cela peut paraître étonnant mais c'est un parcours de plus en plus fréquent. Cette ambition est née du constat d'audiences radio en chute libre et d'une télévision où la moyenne d'âge de l'émission la plus jeune du paysage audiovisuel français ‒ Quotidien, animée par Yann Barthès ‒, dépasse 40 ans.
Une grande partie des 18-34 ans ne consomment plus ni radio ni télévision mais ont pourtant besoin de s'informer. Les pure players comme Brut, Loopsider ou Konbini ont répondu à ce besoin dans un premier temps puis, progressivement, cette offre s'est étoffée avec des créateurs et créatrices de contenu.
D'après YouTube, je possède la deuxième chaîne d'information en France avec 830 000 abonnés, derrière HugoDécrypte. Depuis 18 mois, ce sont entre 25 000 et 50 000 abonnés qui rejoignent la chaîne chaque mois. Notre public est composé de jeunes qui ont grandi avec des créateurs et créatrices de contenu comme Cyprien ou Rémi Gaillard. Ils sont devenus adultes et pour pouvoir faire en sorte que ces 18-34 ans puissent vivre pleinement leur vie de citoyen, il faut leur offrir une information de qualité.
Il est regrettable que les chaînes publiques et privées se soient pendant trop longtemps désintéressées de ce public. Cela est particulièrement incompréhensible de la part du service public qui, bien que financé par nos impôts, ne permet pas à toute une partie de la population de s'informer correctement et de bénéficier d'une information de qualité, parce qu'il existe une fracture d'usage.
C'est donc le service que j'essaie de fournir avec mon équipe. Cela fait trois ans que j'essaie de m'inscrire dans ce paysage audiovisuel et médiatico-politique français, à travers des formats variés tels que des portraits, des enquêtes de terrain et des vidéos de décorticage de l'actualité, principalement sur YouTube.
Notre travail est suivi par 830 000 personnes, dont 75 % sont âgées de 18 à 34 ans. Nous atteignons aussi des quadragénaires, des quinquagénaires, et même des publics plus âgés, qui s'intéressent à ces nouveaux usages parce qu'ils ont le sentiment que ceux-ci proposent quelque chose d'assez disruptif, une tonalité qui tranche avec celle des chaînes de télévision et de radio.
Je précise que j'ai créé une agence de créateurs de contenu, Intello, il y a trois ans, qui regroupe une vingtaine de créateurs de contenu. Xavier Niel en est l'actionnaire principal et nous sommes actuellement en pleine levée de fonds. Pourquoi avoir démarré cette activité de « pubard » ? Parce qu'aujourd'hui, notre modèle de financement repose sur la publicité.
J'ai le sentiment de pouvoir offrir aux Françaises et Français qui me regardent du contenu journalistique même si je ne peux pas techniquement me considérer comme journaliste. Je fais de la publicité et selon la Charte de Munich, un journaliste ne peut pas faire de la publicité. Donc, je ne suis pas journaliste. En revanche, je suis incarnant, présentateur. Je suis youtubeur, créateur de contenu. Je travaille avec des journalistes qui ont la carte de presse et c'est très important.
Mon modèle de revenus repose donc aujourd'hui sur la publicité. Les revenus publicitaires sont générés grâce à l'action d'une agence qui nous met en relation – nous, ces 20 créateurs et créatrices de contenu, dont je fais partie – avec des marques et des institutions publiques. Cela s'appelle de la publicité native ou du publi-reportage. C'est un modèle très répandu parce qu'aujourd'hui, les jeunes n'ont plus l'habitude de payer pour un abonnement, pour du contenu. Lorsque nous avons essayé de recourir au crowdfunding ‒ financement participatif ‒, nous avons récolté 95 euros.
Il est très compliqué de faire vivre une équipe d'une quinzaine voire d'une vingtaine de personnes, d'autant plus que notre jeune public n'a pas forcément les moyens de payer pour de l'information. Par ailleurs, celui-ci regarde McFly et Carlito, Cyprien, Squeezie, dont le modèle de revenus repose sur la publicité, et ne voit pas pourquoi nous ne pourrions adopter ce modèle au prétexte que nous sommes un média d'information.
J'ajoute n'être éligible à aucun denier d'argent public, aucune aide à la presse, alors même que nous touchons une audience bien supérieure à certains titres de la presse nationale ou de la presse quotidienne régionale. Mon rêve n'était pas de faire de la publicité pour pouvoir me financer, c'était de pouvoir vivre de cette activité. Mais le financement par la publicité est le seul levier que j'ai trouvé.
Il me semble également important de signaler que nous distribuons les contenus que nous produisons sur des plateformes qui sont américaines ou chinoises. Cela pose de nombreux problèmes, notamment en ce qui concerne la liberté de la presse et la liberté d'information. Ainsi, par exemple, lorsque je publie sur TikTok une vidéo sur les Ouïgours, elle est censurée. Sur les plateformes américaines, la censure est plutôt d'ordre économique. Lorsque j'y parle de viols, de génocides, le contenu est moins mis en avant. Je suis donc désincité à produire ce type de contenu.
Il est essentiel que nous puissions nous défendre, et défendre une forme de souveraineté numérique. S'agissant de la liberté de la presse et compte tenu du fait que la plupart des jeunes s'informent exclusivement sur les réseaux sociaux, c'est un vrai sujet de réflexion. C'est un défi sociétal.