On peut fermer la frontière avec l'Espagne, mais vous me direz ce que l'on fait alors des vaches françaises… Vouloir entrer en conflit au moindre problème, c'est un modèle qui conduit à la mort de l'agriculture française. Nous ne pouvons pas faire la guerre économique avec tout le monde : si nous refusons le vin espagnol, il faudra arrêter d'exporter des céréales, du lait, du vin, des fromages, de l'orge ! Et puis, il faut peut-être s'intéresser aux gens qui, en France, profitent des périodes de crise sur le dos des viticulteurs audois ou français. J'ai à l'œil les opérateurs français qui maximisent leurs profits : tout n'est pas de la faute des Espagnols.
Le jour où nos voisins ne voudront plus de nos bovins ou de notre blé dur, nous n'aurons rien gagné, à part donner à Poutine ce qu'il voulait : la guerre de l'Europe contre elle-même. Et je ne suis pas sûr que les viticulteurs audois y gagneraient. Certes, les accords internationaux doivent envisager les filières qui sont plus en difficulté que d'autres, comme les ovins, ou les bovins parfois. Mais le Ceta (Accord économique et commercial global) est bon pour l'agriculture française. Il permet 200 millions de plus d'exportations françaises, c'est un fait. Ceux qui voteront contre devront expliquer aux producteurs laitiers qu'ils les ont privés de 200 millions d'export. Chacun doit assumer ses positions. Je ne suis pas le tenant d'un libre-échange acharné, mais nous avons besoin de commerce – plus équilibré, certes. L'Aude est un pays d'export. Or le commerce est une affaire d'exportations et d'importations.
Par ailleurs, le sursaut inflationniste actuel est la conséquence de la guerre en Ukraine. Ce n'est pas une surchauffe économique : le fait est que le secteur est très énergivore, et qu'une augmentation des prix du pétrole, du gaz et du reste se répercute nécessairement dans toute la chaîne de production. Nous avons besoin de penser la chaîne de production globale : le prix du gaz en Russie a des effets sur celui de nos bouteilles de vin.
Monsieur Cubertafon, la stratégie russe de déstabilisation des marchés, des territoires et de l'Union européenne requiert la plus grande vigilance. Je n'ai pas salué les mesures unilatérales des Polonais pour fermer leurs frontières parce qu'ils étaient débordés de céréales ukrainiennes, mais l'impératif européen est tout de même que la Commission réponde et ne les laisse pas seuls durant des mois en expliquant qu'à l'échelle macro-européenne, il n'y a pas de problème. La stratégie russe de déstabilisation vis-à-vis des Ukrainiens est claire. Si les Russes avaient gagné la guerre dans les deux premières semaines, leur puissance agricole leur aurait donné la capacité de mettre le feu au monde. On ne peut pas regretter le monopole américain ou chinois et ne pas s'inquiéter d'un monopole russo-ukrainien ! La plus grande vigilance est de mise s'agissant des fertilisants et des céréales, qui sont en début de chaîne de production, y compris pour la viande. C'est ainsi que nous construirons notre autonomie stratégique alimentaire.
M. Bru a soulevé la question des espaces cultivables. L'accaparement des terres arables est un sujet de souveraineté pour les pays qui en seront victimes. Pour la première fois, certains pays vont porter leur puissance agricole au-delà de leurs frontières. Second élément, certaines terres risquent de perdre en productivité. Nous n'en sommes pas tout à fait encore là, mais il faut changer le modèle de certains territoires pour garantir leur résilience. Cela ne signifie pas qu'on ne fera plus d'agriculture, mais plus comme avant. Un troisième risque, qui n'est pas principalement européen, est celui de l'usure et de la perte de fertilité des terres agricoles liées au surpâturage et à la surexploitation – c'est évident en Mongolie, par exemple, avec le surpâturage des chèvres qui donnent le cachemire, principale richesse du pays. Chez nous, la principale question est celle du changement climatique et de l'érosion – un sujet qui va prendre de l'ampleur.
Madame Martinez, je n'ai pas l'impression d'oublier les viticulteurs dans les Pyrénées-Orientales, ni d'ailleurs personne !
S'agissant des engrais, nous devons continuer à identifier les secteurs stratégiques – les engrais sont absolument essentiels, de même que les outils de biocontrôle, les produits phytosanitaires et les semences. Je n'ai aucune intention que des pays autres que les Européens ou la France tiennent les semences. Nous devons aider nos leaders mondiaux, plus que nous leur causons des ennuis. Je préfère qu'on détienne la propriété de la semence chez les Vingt-Sept qu'ailleurs, quel que soit cet ailleurs.
Je vous remercie de votre invitation. Nous devrons approfondir certains sujets. Ces discussions m'invitent aussi à travailler davantage encore avec mon collègue Sébastien Lecornu : quelques processus gagneraient notamment à être accélérés.