Comme vous êtes taquin, je vais commencer par la fin. Nous commençons collectivement à partager ce qu'est le concept de souveraineté. Bien que n'étant pas un historien de votre formation politique, il me semble qu'il y avait chez lui quelque chose qui tendait à l'autarcie. Or dans la situation que je viens de décrire, l'idée de ramener la souveraineté à un « je produis français, je mange français » est tragique. Il faut accepter que la souveraineté s'exerce aussi au travers de la capacité exportatrice et de l'acceptation de l'importation.
Par ailleurs, la crise ukrainienne perturbe à la fois nos marchés et les marchés mondiaux. J'ai essayé de décrire la stratégie de Poutine – elle est lisible, au moins ! On ne peut pas lui reprocher d'en avoir une, l'important étant que nous ayons une contre-stratégie, surtout sur le continent africain. Car M. Poutine, avec sa politique de chantage ou de bas prix, n'a pas seulement expulsé l'Ukraine de ses marchés africain : l'Union européenne elle-même en a perdu un certain nombre.
C'est pourquoi je continue à explorer plusieurs territoires et pays – faire à ce point de la diplomatie, et l'expliquer en commission de la défense, est un travail assez loin des habitudes pour le ministre de l'agriculture. Je retournerai ainsi au Maroc fin avril, j'étais allé en Ukraine pour le même motif, j'irai sur le continent africain. Nous avons besoin de renouer un dialogue de coopération avec ces pays. Ils sont d'ailleurs habitués à une agriculture résiliente et ont des choses à nous apprendre. Les Marocains sont largement en avance sur nous dans la résilience à l'égard de l'eau. Les Africains aussi, dans certains systèmes. En outre, tous les pays se posent la question de leur souveraineté dans le dérèglement climatique et tout le monde voit le jeu international dans ce domaine. J'ai donc bien l'intention d'étudier ce que nous pouvons faire en matière de coopération réciproque.
Nous avons intérêt à ce que ces pays trouvent les voies de leur souveraineté alimentaire, même s'ils ne pourront pas le faire pour la totalité de leurs territoires. L'Égypte, par exemple, ne peut pas nourrir l'ensemble de sa population : l'accès à l'eau et les sols ne le permettent pas. En tout état de cause, nous devons travailler avec certains pays, en particulier sur le sujet de la lutte contre la désertification et de l'autonomie protéique. Tel est l'objet des initiatives prises par le Président de la République, comme le projet de « grande muraille verte ». J'y travaille en Français, mais l'idéal serait de pouvoir le faire en stratégie européenne pour certains secteurs. Nous aurions un intérêt à montrer la puissance et la volonté européennes en la matière.
Avoir désarmé sur la question de la souveraineté agricole a été une erreur collective européenne. Les Américains ne l'ont jamais fait. Lorsqu'on bataillait avec eux au sujet des accords commerciaux il y a trente, quarante ou cinquante ans, ils s'y intéressaient déjà. Ils étaient actifs dans le nucléaire, l'armement, la technologie et tout le reste, mais aussi, sans que l'Europe y prête la moindre attention, dans l'agriculture. Les Chinois non plus ne se sont jamais désintéressés des questions agricoles, et les Indiens s'y intéressent de plus en plus. Pour un continent comme le nôtre, se priver de cette puissance est dommage, et le terme est faible. C'est pour cela que nous avons intérêt à dialoguer avec les autres.