Le Parlement s'est trop longtemps désintéressé des activités du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), créé en 2013 afin d'assurer la surveillance macroprudentielle du système financier. Malgré la technicité du sujet, je suis convaincu de l'importance, pour la représentation nationale, de débattre du fonctionnement et des missions de cette autorité, dont les récentes décisions en matière de fixation des conditions d'octroi de crédit ont fait l'objet de commentaires pour le moins contrastés.
D'abord sous la forme d'une recommandation, en 2019, puis d'une décision contraignante, en 2021, le HCSF a défini des principes visant à prévenir un endettement excessif des emprunteurs sur le territoire français : le taux d'endettement individuel ne doit pas dépasser 35 % des revenus et la durée du prêt ne peut excéder vingt-cinq ans. Une possibilité est laissée aux banques de déroger à ces normes, sous certaines conditions, pour 20 % de leur production de crédits immobiliers.
Ce niveau de contrainte sur les établissements bancaires, qui s'impose à leur appréciation du risque d'endettement excessif de l'emprunteur, est apparu à de nombreux observateurs comme une entrave trop stricte à l'octroi de crédits, alors que l'ensemble des acteurs auditionnés, dont la Banque de France, a reconnu la solidité du marché français du crédit immobilier, qui s'appuie sur des taux fixes bas, des marges bancaires limitées, et présente une très faible sinistralité.
Le dépôt de cette proposition de loi a ainsi été motivé par plusieurs constats. Tout d'abord, la production de crédits immobiliers a presque été divisée par deux entre 2021, avant l'entrée en vigueur des normes du HCSF, et 2023, où seulement 780 000 crédits immobiliers ont été accordés. Cette diminution de volume est également visible en montant : 7,6 milliards d'euros de crédits à l'habitat, hors renégociations, ont été produits en janvier 2024, chiffre le plus bas depuis 2014.
L'emprunteur, enfin, doit réaliser un effort de plus en plus important : le niveau de l'apport personnel moyen était, au quatrième trimestre 2022, supérieur de 43,5 % à son niveau du quatrième trimestre 2019.
Le marché du crédit immobilier est donc aujourd'hui loin d'être en surchauffe : si l'effet mécanique de la hausse des taux ainsi que l'attentisme des ménages, dans une situation où les prix demeurent élevés, expliquent la majeure partie de la baisse de l'octroi de crédits immobiliers, les normes du HCSF concourent également à freiner l'accession à la propriété. Si la hausse des taux conduit à un crédit plus cher, il faut veiller à ce qu'il n'en devienne pas pour autant inaccessible à l'heure où nous connaissons une crise du logement d'une ampleur inquiétante.
Il est nécessaire d'être parfaitement clair sur les objectifs de cette proposition de loi. Ce texte n'a pas pour ambition de remettre en cause l'indépendance du HCSF, indispensable au bon exercice de ses missions, ni de porter atteinte à sa compétence en matière de surveillance du système financier, afin de prévenir le retour de crises. Il est essentiel de conserver les leçons tirées de la crise financière de 2008 en matière de régulation du secteur bancaire.
Mme Karine Berger, rapporteure à l'Assemblée nationale du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires qui a institué en 2013 le HCSF, écrivait dans son rapport, pour la première lecture du texte, que le pouvoir conféré au HCSF en matière de fixation des conditions d'octroi de crédit « aurait vocation à être utilisé avec parcimonie » et qu'il était écarté qu'il puisse « mener une politique globale d'encadrement du crédit ». Il me semble intéressant que le Parlement puisse débattre de l'effectivité de ces intentions du législateur, alors que, depuis 2013, il ne s'est prononcé qu'à une seule reprise sur l'organisation et les missions du HCSF – par le vote d'ordonnances en 2017.
J'ai écouté avec intérêt, notamment dans le cadre du cycle d'auditions menées en amont de ce débat en commission, les arguments s'opposant à la rédaction du texte, en particulier à son article 2. C'est pourquoi j'ai déposé plusieurs amendements qui tendent à revenir sur la permission accordée aux banques de déroger aux normes d'octroi de crédit, afin de trouver un compromis acceptable pour améliorer les décisions prises par le HCSF tout en levant les craintes exprimées.
L'article 1er vise à compléter la composition du HCSF afin d'y faire entrer un député et un sénateur, désignés par la présidente ou le président de leurs chambres respectives.
Le HCSF doit rester un organe technique ; mais, alors que ses décisions ont des conséquences sur l'accès au crédit immobilier de millions de Français, il ne doit pas être un organe technocratique. La présence de parlementaires permettrait de stimuler le débat public autour des évolutions envisagées et de renforcer la légitimité démocratique des mesures prises. L'indépendance du HCSF vis-à-vis du pouvoir politique n'en serait nullement réduite : ses membres parlementaires ne sauraient influencer à eux seuls le sens des décisions. Je rappelle, par ailleurs, que le vrai pouvoir au sein de l'autorité réside dans la faculté de proposer des mesures contraignantes, laquelle appartient au seul gouverneur de la Banque de France.
Je soutiendrai la proposition de soumettre les parlementaires désignés pour siéger au HCSF aux mêmes obligations déontologiques que celles auxquelles les personnalités qualifiées sont soumises, afin d'assurer une indépendance totale de ses membres et de préserver la neutralité nécessaire à la qualité des décisions.
Afin de renforcer le contrôle parlementaire sur le HCSF, je souhaiterais également que les personnalités qualifiées soient désignées pour siéger après une audition devant les commissions chargées des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat.
L'article 2 avançait une évolution majeure, puisqu'il offrait la possibilité aux établissements bancaires de déroger aux normes du HCSF en matière de conditions d'octroi de crédit. Je proposerai plusieurs amendements réécrivant entièrement cet article, leur dénominateur commun étant que c'est au HCSF, et non aux établissements de crédit, qu'il reviendra de fixer, sur proposition du gouverneur de la Banque de France, les conditions auxquelles les établissements bancaires seront autorisés à déroger à ses normes, au regard des variations de l'offre et de la demande de crédit.
Je proposerai également que le HCSF révise tous les trois mois ses décisions en matière de détermination des conditions d'octroi de crédit, après consultation du comité consultatif du secteur financier, afin de favoriser l'adaptation de ses normes à l'évolution de la conjoncture. Je suggère en outre, à travers un autre amendement, que les propositions du gouverneur de la Banque de France et les décisions du HCSF en la matière soient systématiquement rendues publiques.
Enfin, de l'aveu même des personnes auditionnées, le HCSF pourrait améliorer la transparence de sa prise de décision. Je proposerai ainsi qu'il puisse rendre des comptes de façon régulière devant la représentation nationale, sous la forme d'une audition annuelle devant les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat.
J'espère que nous pourrons avoir un débat de qualité sur cette instance de régulation, encore trop méconnue et pourtant essentielle à la vie économique de notre pays.