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Intervention de Philippe Ledenvic

Réunion du mardi 26 mars 2024 à 16h30
Commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet d'autoroute a

Philippe Ledenvic, membre de l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable, ancien président de l'Autorité environnementale :

J'ai simplement répondu à votre question sur le sujet. Je ne soutiens pas farouchement cette idée, mais pragmatiquement, compte tenu de la non-application effective du droit, cela pourrait être une piste d'amélioration. Certes, cela nécessiterait une modification du droit.

Quant à la qualité des dossiers et des procédures, je répète que les questions environnementales sont très mal évaluées dans les plans-programmes. Cette évaluation est en revanche correcte pour bon nombre de projets. Je me suis livré à une analyse plus détaillée dans mes réponses écrites, distinguant le type de projets. Certains maîtres d'ouvrage sont très rigoureux dans cet exercice, quand d'autres sont très mauvais, sans signe d'amélioration. Néanmoins, la situation a évolué positivement et significativement en dix ans. La qualité des dossiers s'est nettement améliorée de manière générale. Ce n'est malheureusement pas le cas pour les projets routiers.

Ma réflexion sur la phase d'exploitation renvoyait surtout au défaut d'évaluation des émissions de gaz à effet de serre. En phase d'exploitation, ces émissions proviennent des véhicules qui empruntent l'ouvrage. Le problème est que les maîtres d'ouvrage routiers et autoroutiers considèrent que l'ouvrage a pour rôle de répondre à un besoin de trafic. Cette vision est erronée. Les études de trafic effectuées il y a une vingtaine d'années montrent que l'ouverture d'une nouvelle infrastructure ne canalisait pas seulement le trafic existant, mais provoquait une augmentation globale du trafic de l'ordre de 10 à 20 %, et donc un accroissement des émissions de dioxyde de carbone. Les maîtres d'ouvrage considèrent aujourd'hui que leur projet ne générera pas de trafic supplémentaire, ce qui est contradictoire avec les études que je viens d'évoquer.

Je m'inscris en faux devant l'allégation selon laquelle l'AE produirait des avis à charge. Elle émet des avis objectifs motivés. Toutes nos recommandations sont motivées et lorsque nous émettons des critiques importantes, nous prenons toujours le soin de citer le contenu des dossiers, ce qui permet à chacun de se forger sa propre opinion. Nous émettons donc des avis factuels et non pas des avis à charge.

Pour ce qui est des juridictions administratives, je ne remets pas du tout en cause leur indépendance. Mais nous sommes d'ailleurs attentifs à l'évolution de la jurisprudence dans nos avis, et particulièrement celle du Conseil d'État. Or force est de constater que certaines décisions de première ou de deuxième instance sont en décalage par rapport au droit et à la jurisprudence du Conseil d'État. Nous avons affaire à un problème de logique et de compétences. J'appuierai mon propos en vous citant deux extraits de décisions rendues par des tribunaux administratifs :

« Il ne résulte pas de leur argumentation, qui repose essentiellement sur des hypothèses ou des interrogations sur les effets attendus de l'ouvrage, que les motifs de la politique d'aménagement ainsi menée, la configuration de l'autoroute A69, la nature des territoires qu'elle doit desservir, le coût de son péage, ou ses éventuelles conséquences négatives seraient susceptibles de créer un doute, en l'état de l'instruction, sur son caractère de projet répondant à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens et pour l'application de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. » (Tribunal administratif de Toulouse, 1er août 2023)

Or je ne vois aucune correspondance entre cette énumération et la notion d'intérêt public majeur. Et surtout, un problème de cohérence se pose à travers l'expression « ou ses éventuelles conséquences négatives », qui dénote une confusion manifeste avec la notion d'utilité publique. Or comme je l'ai expliqué tout à l'heure, l'utilité publique repose sur un bilan entre les avantages et les inconvénients d'un projet, ce qui n'est pas le cas des raisons impératives d'intérêt public majeur. L'introduction des conséquences négatives éventuelles crée une confusion.

Il est écrit par ailleurs dans la même décision : « Si l'ensemble des impacts directs et indirects de l'infrastructure sur le phénomène d'urbanisation n'est pas décrit, il ne peut en tout état de cause être raisonnablement évalué et discuté, en raison notamment de la maîtrise des collectivités territoriales sur ce phénomène, que moyennant certaines hypothèses qui sont d'ailleurs présentées par l'étude d'impact. »

Cela pose un problème de cohérence interne du jugement. Le ministère a en effet édité un guide en 2015, qui explique à tous les maîtres d'ouvrage comment évaluer les effets des infrastructures sur l'urbanisation. Comment un tribunal administratif serait-il compétent pour statuer sur l'impossibilité d'un tel exercice ? Et pourtant d'ailleurs, à plusieurs reprises, en dépit de cette impossibilité prétendue d'évaluation, il est indiqué que ce projet serait positif pour le territoire.

J'ai vu régulièrement des jugements – pas seulement donc pour l'A69 – qui présentaient des problèmes de cohérence interne ou qui témoignaient d'un défaut de compréhension de la notion d'intérêt public majeur ou de la jurisprudence du Conseil d'État.

Nous attirons l'attention des maîtres d'ouvrage quant au fait que leurs dossiers sont souvent incomplets lorsqu'il s'agit d'exposer des raisons impératives d'intérêt public majeur. Or ces éléments sont indispensables dans un dossier de demande d'autorisation environnementale. Très fréquemment, ils sont négligés.

Je vous ai cité cette décision de justice car votre commission d'enquête porte sur le projet de l'A69 mais je pourrais faire de même pour d'autres dossiers.

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