. – Mesdames, Messieurs, chers collègues, la délégation à la prospective du Sénat a été créée en 2009. Cette structure n'existe pas à l'Assemblée nationale, c'est une spécificité de la Chambre haute. Elle a pour vocation de réfléchir aux grandes transformations de notre société, à ces changements qui opèrent à la fois en profondeur et sur le temps long – ces changements auxquels nous, parlementaires, consacrons paradoxalement si peu de notre propre temps, parce qu'il y a toujours plus urgent à faire, un texte à examiner, une vie politique qui ne s'arrête jamais. Cette délégation nous offre une respiration dans nos travaux. Ce matin, nous avons pris le temps de réfléchir à des sujets qui ne sont pas au cours de nos réflexions habituelles au sein de la délégation à la prospective, à savoir l'égalité hommes-femmes.
Je m'associe au président Gérard Larcher, à Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes, et aux animateurs des précédentes tables rondes – la sénatrice Laure Darcos et le président de l'Opecst Stéphane Piednoir – pour remercier chaleureusement l'ensemble des intervenants de ce matin.
Je parlais à l'instant de changements profonds et de long terme : c'est bien de cela dont il est question ce matin, que l'on parle de l'évolution de la place des femmes dans la société ou de la révolution de l'intelligence artificielle – laquelle pourrait bien, si l'on en croit l'avis général, bouleverser notre façon de vivre et de travailler.
Pour notre part, à la délégation à la prospective, nous nous intéressons à l'impact potentiel de l'IA dans le service public, avec une série de rapports thématiques : IA et finances publiques, IA et santé, IA et éducation, IA et environnement, IA et territoires, etc. Nous avons décidé de travailler en produisant des notes assez brèves. Ce matin, c'est une autre petite brique que nous pourrons ajouter au travail de synthèse.
Cela fait partie du sujet de notre dernière table ronde, qui porte sur l'impact que pourrait avoir l'IA générative sur l'égalité femmes-hommes en général. Cette troisième table ronde est en quelque sorte le miroir de la première : après s'être demandé ce que les femmes pourraient apporter à l'IA, il s'agit de savoir ce que l'IA pourrait apporter aux femmes.
De toute évidence, l'IA générative pourra très concrètement bénéficier aux femmes dans de multiples domaines – partout, en fait, où ces nouveaux outils viendront réduire les inégalités, qu'il s'agisse d'accès à l'emploi, à l'éducation, à la santé, au droit, etc. Aujourd'hui, la RATP équipe ses agents de manutention d'exosquelettes. Demain, des métiers interdits, ou du moins fortement dé-recommandés aux femmes, pourraient s'y ouvrir grâce à ces développements.
Il y a, j'en suis convaincue, toutes les raisons d'être optimiste quant à la contribution de l'IA à l'égalité femmes-hommes. Mais l'optimisme n'interdit ni la prudence, ni la nuance.
Tout d'abord, force est de constater que ce qui manque, pour l'instant, ce ne sont pas les idées, mais plutôt les chiffres : on ne dispose pas encore de suffisamment de recul pour savoir, par exemple, si l'IA aura un impact différent sur les métiers selon qu'ils sont majoritairement occupés par des femmes ou par des hommes, ni lesquels seront plutôt « augmentés » ou plutôt « remplacés ».
Ensuite, à côté de ses bénéfices, l'IA apportera inévitablement son lot de nouveaux problèmes, de nouveaux risques, dont certains concernent tout particulièrement les femmes.
Nous parlions tout à l'heure du renforcement des stéréotypes de genre, lié à la manière dont sont « entraînées » les IA. Je pense aussi à la protection de la vie privée et au problème des deepfakes, ces fausses vidéos pornographiques générées par des IA – car oui, l'écrasante majorité (96 %) de ces vidéos ne sont pas des faux discours de Joe Biden ou de Vladimir Poutine, ce sont des images pornographiques fictives de jeunes femmes qui sont en revanche bien réelles, qu'il s'agisse de Taylor Swift – 100 millions de « vues » en une semaine – ou d'une anonyme dont la photo aura été utilisée à son insu.
Vous le voyez, il y a beaucoup à dire, sur beaucoup de sujets, et je suis sûre que nos deux intervenantes auront elles aussi un discours nuancé, mais une vision résolument optimiste.
Je vous propose de donner dans un premier temps la parole à Sasha Rubel, qui pourra prouver qu'en fréquentant la même école, on peut se trouver des deux côtés de cette table, qui n'est pas ronde. Elle est responsable des affaires publiques sur les sujets IA chez AWS (Amazon Web Services), et membre du réseau d'experts de l'OCDE sur le sujet.
Laure Lucchesi, qui était jusqu'en 2023 directrice d' Etalab, le pôle « données publiques » de la direction interministérielle du numérique (Dinum), nous donnera ensuite sa vision des choses – sans doute marquée, je suppose, par une sensibilité « service public » qui fera écho aux travaux de la délégation à la prospective.
Vous avez toutes les deux vécu une expérience assez longue dans des pays en transition. Je suis persuadée que vivre dans un monde meilleur participe aussi à l'égalité entre les femmes et les hommes.
Je vous laisse sans plus tarder la parole, dans l'ordre de votre choix.