. – Quand j'étais professeur de mathématiques, j'exerçais dans le secondaire, puis dans le supérieur, en classes préparatoires aux grandes écoles. Dans une classe de seconde, j'avais donné aux élèves de petits exercices d'intersections dans l'espace, qui posent généralement des soucis de visualisation. Une jeune fille butait sur un de ces problèmes. Quand j'ai essayé de le lui expliquer, tant bien que mal, elle m'a dit « Ne vous donnez pas de mal, de toute façon, je suis une fille, donc on sait bien que la vision dans l'espace n'est pas faite pour les filles. » J'ai failli en tomber de ma chaise. Je lui ai demandé d'où lui venait cette idée, mais elle n'a pas été capable de me répondre.
Cette expérience rejoint vos interventions selon lesquelles les jeux sont faits en seconde. Les stéréotypes sociaux sont déjà totalement ancrés. Ce témoignage vaut ce qu'il vaut. Il est un exemple parmi d'autres et est assez révélateur, bien qu'en bon matheux, je n'aime pas la démonstration par l'exemple.
Bien sûr, le vivier des jeunes filles dans les filières scientifiques – je regrette d'ailleurs la disparition de la filière scientifique au lycée – est déséquilibré. Le lycée au sein duquel j'enseignais proposait des bacs scientifiques, puis des classes prépa scientifiques et littéraires, mais aussi ce que l'on appelait les prépas HEC. Le déséquilibre y était encore plus flagrant : les prépas scientifiques comptaient peu ou prou une fille pour quinze garçons, tandis qu'on était proche de la parité dans les filières de management. J'en déduis – et vous pourrez me donner votre avis sur la question – que le fait de s'enfermer dans un cursus entièrement scientifique peut faire peur aux filles, et encore plus dans les prépas scientifiques que dans les écoles de management. Une prépa HEC propose pourtant des mathématiques à haute dose, mais aussi beaucoup de langues, de littérature, d'histoire ou de géopolitique. Nous devons peut-être travailler sur ce biais.
Enfin, j'ai entendu ma collègue Laure Darcos parler de « sciences dures ». C'est une bataille que je mène depuis plusieurs années. Comment voulez-vous donner envie à des jeunes de s'inscrire dans un cursus où ils feront des « sciences dures » ? La moitié du public est déjà découragée par cette évocation. Les jeunes filles sont peut-être encore plus sensibles à cet aspect. On fait l'effort de nommer les sciences humaines et sociales comme telles, en intégralité. D'ailleurs, on utilise volontiers l'acronyme « SHS », qui ne choque personne. Je pense qu'on peut donc parler de « sciences exactes et expérimentales », et employer le sigle « S2E ».