. – Bonjour à toutes et à tous. Merci pour cette invitation. Je passe en dernier, tout ce que je voulais dire l'a quasiment déjà été, mais la répétition entraîne l'assimilation.
Je suis copilote du Groupe de travail Les Femmes et l'intelligence artificielle au Laboratoire de l'égalité. Je peux vous annoncer avec fierté que nous avons lancé mardi soir le guide des bonnes pratiques pour une IA plus égalitaire entre les femmes et les hommes.
Nous avons également lancé le pacte pour une IA plus égalitaire en 2020, mais je voudrais juste revenir sur le Laboratoire de l'égalité quelques instants. Le groupe de travail Les Femmes et l'intelligence artificielle existe depuis 2017. Le Laboratoire de l'égalité promeut avant tout l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et s'est emparé du sujet de l'IA avant 2017. Pourquoi ? Parce que nous avons constaté que celle-ci générait des inégalités de genre, les diffusait, les amplifiait et les reproduisait. Nous avons mené un certain nombre de travaux, à commencer par le pacte pour une IA plus égalitaire. Nous travaillons avec de nombreuses associations telles que le Cercle d'intérêts ou Arborus. Nous ne sommes pas en compétition, mais travaillons en collaboration pour mutualiser nos savoirs et nos savoir-faire. Nous avons également lancé le livre L'intelligence artificielle, pas sans elles !, d'Aude Bernheim et Flora Vincent, préfacé par Cédric Villani. Nous avons organisé l'année dernière le mois de l'IA égalitaire. Il a constitué un vrai détonateur. Tous les mardis midi du mois de juin, nous organisions avec les cinq parties prenantes – associations, entreprises, recherche, médias, écoles – des webinaires sur l'intelligence artificielle et recueillions leurs connaissances selon leur propre angle de vue. Nous avons collecté tant d'informations que nous nous sommes dit que nous devions aller plus loin, « cruncher la data ». Nous avons lancé une grande enquête sur l'IA, avec trois parties prenantes, les écoles, les entreprises et la recherche. Nous avons reçu un prix de la Fondation des femmes sur l'économie financière des femmes, remis par Isabelle Rome.
Mardi, nous lancions officiellement ce guide. Qu'est-ce qui est important quand on parle d'IA et quand on parle des femmes ? Nous sommes tous d'accord, dans cette salle, pour dire qu'il nous manque des femmes, mais pourquoi ? Vous avez parlé de responsabilité au tout début de cette session. À nos yeux, elle est tripartite, partagée entre les parents, l'éducation et les entreprises.
Nous ne reviendrons pas sur les chiffres qui ont déjà été cités. Nous savons que moins de 27 % de filles sortent des écoles d'ingénieurs, qu'il manque 100 000 femmes ingénieurs aujourd'hui en France. En tant que pays civilisé et très avancé, nous nous demandons pourquoi nous avons perdu cinquante ans, parce que la bascule a eu lieu en 1984, et s'est aggravée lors de la réforme du bac. Lors de l'élaboration de notre guide, nous avons interviewé des écoles d'ingénieurs. Nous savons qu'elles accueillent très peu d'étudiantes. Celles qui y étudient sont mises en avant lors des salons de l'étudiant ou de l'orientation. Les filles ne viennent jamais seules, elles sont souvent accompagnées de leurs parents. Quand elles s'avancent vers un stand d'école d'ingénieurs, la plupart du temps, ce sont les parents qui leur disent : « Non, ce n'est pas la peine, n'y va pas, ce n'est pas pour toi, ce n'est pas un bon milieu, ce n'est pas un bon environnement, tu vas souffrir. » J'y vois donc une responsabilité des parents.
Ensuite, que se passe-t-il au niveau de l'orientation ? Elle arrive bien trop tard pour les filles. En seconde, c'est trop tard, elles ont déjà décidé. Il faut donc en parler bien avant. Si l'on veut discuter d'orientation dès le collège, dès l'école primaire, il faut démystifier, dégenrer les métiers de l'IA, de l'informatique, du numérique et donner envie aux filles de s'engager dans ces filières. Comment faire ?
J'aimerais saluer l' École 42, et notamment Sophie Vigier qui a œuvré pour mettre en place dès la primaire, en CM1ou CM2, des cours de code, de sensibilisation à l'informatique, au numérique, etc. Cette proposition a été actée et est en place, je crois, pour la deuxième année consécutive. Le problème qui s'est posé lorsqu'on a décidé que les petits Français devaient apprendre l'anglais en maternelle ou primaire se pose à nouveau : qui enseigne ces cours ? Ce sont les instituteurs et les institutrices qui ne sont pas formés pour le faire. On veut apprendre aux enfants, les sensibiliser au coding et à l'informatique, mais on manque de ressources. C'est aussi la responsabilité des professeurs.
Nous sommes confrontés à une méconnaissance « métier », à des problèmes d'orientation, de stéréotypes. Comment expliquer aux enfants qu'il n'existe pas de métiers réservés à un genre, et que les filles peuvent être pilotes, astronautes, tout ce qu'elles veulent ? Dans ce cadre, je salue le travail d'associations formidables comme le Women & Girls in Tech, Digital Ladies, Girls who code, qui sensibilisent les filles et les garçons de façon très concrète en leur montrant les usages du numérique et des technologies.
Démystifier le secteur permet de montrer aux filles qu'elles peuvent contribuer à l'intelligence artificielle, présente dans notre vie de tous les jours. Pour ce faire, il nous faut les embarquer dans les filières scientifiques de manière à construire un vivier. On a évoqué plus tôt le phénomène du tuyau percé. En effet, au bout de huit à dix ans, 50 % des femmes quittent le métier. Quelles en sont les raisons ? Nous y reviendrons à l'occasion d'une prochaine table ronde, mais elles ne sont pas bien accueillies. Elles sont confrontées à un environnement problématique dans les écoles, d'abord.
Lors de notre soirée de lancement du guide des bonnes pratiques, Aline Aubertin, femme ingénieure et directrice de l'ISEP (École d'ingénieurs du numérique), était présente à nos côtés. Quand elle a pris la direction de cette école, elle a commencé par mettre en place des actions très simples. On n'est pas du tout dans le film The Hidden Figures, mais presque. Les toilettes des filles étaient à l'autre bout du bâtiment. Il n'y avait en outre qu'une seule cabine. Excusez-moi d'évoquer ce type de détail, qui compte. Nous devons accueillir les filles dans les écoles d'ingénieurs, leur montrer qu'elles ont de la valeur, qu'on les attend.
Je citais le film The Hidden Figures. Je pense que tout le monde connaît les figures de l'ombre : Margaret Hamilton, Dorothy Vaughan, Catherine Johnson, etc. Il est d'utilité publique de les montrer pour donner envie aux filles de rejoindre le secteur. Nous avons des représentations, nous avons toutes nos Simone. Montrons aussi des rôles modèles qui soient accessibles.
Au quotidien, un rôle modèle peut être une ou un professeur, une ou un chef d'entreprise. Je pense aussi à Élisabeth Moreno, parce qu'elle est très charismatique, qu'elle connaît l'entreprise de la Tech. Nous avons besoin de représentation. Si on demande à n'importe qui de citer un rôle modèle dans la tech, il pensera à Steve Jobs ou à Mark Zuckerberg. Si on lui demande de citer un rôle modèle au féminin, il risque d'être plus embêté. Nous devons donc absolument susciter ces représentativités et l'existence de rôles modèles qui donnent envie.
Avant de conclure, j'aimerais préciser que le numérique est un secteur en grande croissance, puisqu'il croît de plus de 5 % par an, contre 2,5 % pour un secteur plus classique. Il représente une manne de métiers dans lesquels il faut s'investir, dont il faut s'emparer.
Enfin, avec le Laboratoire de l'égalité, et notamment avec notre guide pour une IA égalitaire, nous essayons de changer le paradigme, la vision. Arrêtons de penser que le numérique et l'intelligence artificielle sont négatifs. Bien entendu, certains emplois sont détruits, mais d'autres sont créés. Aujourd'hui, on dit que deux tiers des enfants actuellement en maternelle exerceront un métier qui n'existe pas encore. On dit aussi que les femmes seront les plus touchées par l'automatisation des tâches. Elles seront 11,8 % à en subir les impacts, selon un rapport de McKinsey. C'est vrai, mais il nous faut aussi embrasser cette transformation. Arrêtons de stigmatiser l'IA, de dire que tout est négatif. Nous vivons dans un environnement suffisamment négatif, essayons de changer de paradigme et de penser que ces évolutions sont une marque de progrès. Dans l'automobile, dans le médical, l'IA est une source de progrès. Elle ne remplacera jamais l'humain.
Enfin, on manque de filles dans le domaine de l'intelligence artificielle. Nous devons les encourager à suivre des cursus scientifiques, mais aussi créatifs, de marketing… Il est vrai que statistiquement, on envoie les filles où elles sont surreprésentées, dans la communication, les ressources humaines, le soin. Ces secteurs sont moins rémunérateurs. Elles sont sous-représentées dans la Tech, mais y sont mieux payées. Ce constat signifie que la Tech constitue nécessairement un levier d'émancipation sociale et financière. La réduction des inégalités n'est pas qu'un simple combat de femmes. Elle concerne aussi les hommes, parce qu'ils sont nos alliés. C'est un sujet sociétal dont tout le monde doit s'emparer.