Intervention de Alexandre Holroyd

Réunion du mercredi 3 avril 2024 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandre Holroyd, rapporteur :

Madame la présidente, chers collègues, je suis très heureux de vous présenter cette proposition de loi.

Si notre pays, grâce aux efforts entrepris depuis 2017, est aujourd'hui la destination privilégiée en Europe pour de nombreux investisseurs internationaux et établissements financiers, nous ne pouvons pas nier l'écart croissant, en matière de financement des entreprises, entre l'économie européenne et l'économie américaine. Trois chiffres permettent d'illustrer, bien que d'une façon imparfaite, ce constat.

Il y a dix ans, la première banque européenne et la première banque américaine avaient peu ou prou la même valeur. Aujourd'hui, la première banque américaine a une valeur plus ou moins équivalente à celle des dix premières banques européennes cumulées. Par ailleurs, la capitalisation d'une seule entreprise américaine, Microsoft, est supérieure à celle de l'intégralité du CAC40. Je vous laisse réfléchir à ce que cela veut dire en matière d'investissement, de recherche et de croissance. Le dernier exemple est que 60 % des financements ont lieu par le biais des marchés aux États-Unis, contre 17 % en Europe, où le système bancaire assure la majorité du financement des entreprises.

Les besoins de nos entreprises et de nos économies pour réussir la transition écologique, maîtriser la transformation numérique ou encore faire face à la question du grand âge sont absolument colossaux. L'épargne des Français et des Européens, qui se présente sous une myriade de formes, l'est également. Il convient de tout faire pour faciliter le financement de ces besoins très importants par cette épargne très abondante. Le lien, le point de contact entre l'épargne et les besoins de financement, ce sont les acteurs financiers.

Depuis 2017, la stratégie menée de façon volontariste par la majorité a considérablement renforcé l'attractivité de la place financière de Paris, qui se trouve désormais au premier rang en Europe. Cette stratégie s'est appuyée sur des avantages comparatifs, dont la qualité des superviseurs nationaux, la qualité de vie offerte à Paris, le régime fiscal et le droit du travail. La plupart des banques d'investissement étrangères implantées à Paris ont plus que doublé leurs effectifs depuis la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Plus généralement, l'amélioration de la compétitivité de la place s'est traduite par la création de 7 000 emplois entre 2017 et 2022 dans la seule industrie financière, à quoi s'ajoutent des créations d'emplois indirectes et d'importantes recettes fiscales supplémentaires.

Pour renforcer notre économie, française comme européenne, en cohérence avec la volonté du Gouvernement de créer une véritable union des marchés des capitaux au niveau européen, cette proposition de loi tente d'apporter des réponses concrètes, très ciblées, à un nombre limité de questions bien précises. Elle résulte de très nombreux échanges avec les acteurs de la place, des juristes, des chercheurs, des économistes, les services de l'État et des auteurs de rapports parlementaires ou non parlementaires, qui ont formulé de nombreuses recommandations. Il en résulte un ensemble de mesures qui visent à faciliter le financement de nos entreprises et à renforcer l'attractivité de notre droit.

Le titre Ier de la proposition de loi comporte ainsi cinq articles visant à renforcer les capacités de financement des entreprises depuis la France. Ses articles 1er à 3 prévoient des mesures nécessaires en droit des sociétés pour faciliter les levées de fonds dans le cadre d'introductions en bourse ou d'augmentations de capital, tandis que les articles 4 et 5, qui portent sur quelques dispositions très précises du code monétaire et financier, lèveront des entraves à l'activité de notre industrie financière sans réduire en rien la protection de l'épargnant.

L'article 1er a pour objet d'autoriser les sociétés à s'introduire en bourse en se dotant d'actions à droits de vote multiples. Le but est de permettre à des actionnaires ou à des fondateurs qui jouent un rôle particulier dans les entreprises à forte croissance d'en conserver le contrôle et donc de maîtriser la trajectoire de développement. L'introduction de droits de vote multiples sera une simple possibilité offerte aux entreprises souhaitant être cotées, nullement une obligation. Les investisseurs seront libres de répondre ou non à une offre dont ils connaîtront les termes. Offrir cette faculté aux entreprises se justifie doublement, d'une part pour éviter que des entrepreneurs actifs en France se trouvent dissuadés de poursuivre le développement de leur société par la perspective d'en perdre le contrôle, d'autre part pour éviter qu'ils aillent poursuivre ailleurs leur développement, de très nombreuses places de cotation offrant déjà cette possibilité.

L'article 2 permettra aux fonds communs de placement à risques (FCPR) de prendre des participations dans des sociétés dont la capitalisation boursière est comprise entre 150 et 500 millions d'euros. Ils pourront ainsi accompagner plus longtemps certaines entreprises à forte croissance dans lesquelles ils investissent juste avant leur cotation.

L'article 3 vise à faciliter les augmentations de capital sans droit préférentiel de souscription, plus propices à des levées de fonds rapides et moins complexes. Cet article vise donc à éviter, lui aussi, que de nombreuses entreprises choisissent une autre place que Paris pour leur cotation – les droits américain et néerlandais par exemple ne posent aucune limite aux augmentations de capital sans droit de souscription.

L'article 4 permet à des sociétés de gestion de transmettre des informations aux superviseurs d'États non-membres de l'Espace économique européen, comme les établissements bancaires peuvent déjà le faire. Soyons clairs : depuis 2009, les gestionnaires d'actifs européens ont perdu des parts de marché alors que les gestionnaires d'actifs américains en ont gagné. La loi du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, dite loi de blocage, est un texte essentiel que la proposition de loi ne remet nullement en question, mais une dizaine de sociétés de gestion françaises ont déjà vu leur enregistrement refusé par le superviseur américain pour des raisons infondées qui sont liées à cette loi. C'est ainsi la moitié du marché mondial de gestion d'actifs qui leur est fermé, alors que les informations demandées par le régulateur américain sont, pour la plupart, publiques.

L'article 5 modifie une règle concernant la communication promotionnelle des prestataires de service d'investissement français en vue d'opérations sur un marché d'un pays tiers à l'Espace économique européen. Il recentre simplement la règle, même si c'est un peu complexe, pour cibler les opérations qui ne sont pas couvertes par le droit européen. J'insiste sur le fait que les règles européennes de commercialisation demeureront applicables. Pas plus qu'aujourd'hui, il ne sera possible de commercialiser n'importe quoi auprès de n'importe qui dans n'importe quelles conditions. En revanche, l'univers d'investissement susceptible d'être proposé par nos gérants d'actifs s'en trouvera élargi, et ainsi les perspectives d'investissement pour nos épargnants.

Le titre II de la proposition de loi peut objectivement paraître un peu obscur, mais il me tient beaucoup à cœur. Il aura, s'il est adopté, un effet très concret et très rapide au niveau national. Il permettra par exemple de fluidifier et d'accélérer le dispositif d'aval de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), ce qui permettra aux agriculteurs céréaliers d'être payés plus rapidement. Il aura aussi une véritable incidence à l'international si la France et son droit parviennent à assumer un rôle prépondérant en matière de dématérialisation des procédures de commerce international. Cela facilitera le développement de nos entreprises à l'étranger et donc les débouchés à l'exportation, sans parler de l'influence de notre dispositif juridique sur l'essor de la dématérialisation dans d'autres pays, notamment chez nos partenaires en Europe et en Afrique.

En clair, ce titre II, qui comprend quatre articles, vise à définir la notion de titre transférable en regroupant divers documents ou instruments aujourd'hui appréhendés de façon éparse par notre droit, puis à reconnaître leur forme électronique et à garantir l'équivalence fonctionnelle et la convertibilité entre les titres imprimés ou dématérialisés. Ces dispositions nouvelles s'inspirent d'un modèle élaboré par la commission des Nations unies pour le droit commercial international et efficacement adapté par un rapport commandé par le Gouvernement. Nous serions l'un des premiers pays dotés d'un tel texte, et même le premier de tradition juridique romano-germanique. Par ailleurs, si le Royaume-Uni a déjà traduit dans son droit les travaux de la commission des Nations unies que je citais, cette adaptation trop rapide ne lui permet pas de concrétiser le dispositif, contrairement à celui que nous prévoyons. Je remercie Mme Béatrice Collot et M. Philippe Henry pour l'excellent rapport qu'ils ont remis au Gouvernement en juin dernier sur ce sujet. Je souligne que la numérisation permettrait une économie de 36 documents et 240 copies en moyenne par transaction, pour un gain de 3,8 milliards d'euros en France d'ici à 2030.

J'en viens au titre III, qui regroupe trois articles.

L'article 10 facilitera la consultation par voie électronique des associés et le vote par correspondance des actionnaires, ainsi que la tenue dématérialisée des réunions des conseils d'administration, des comités de surveillance et des différentes assemblées, en prévoyant que ces dernières seront retransmises en direct et en différé.

L'article 11 prévoit que la cour d'appel de Paris est seule compétente en matière d'arbitrage international en France. Cette centralisation est une mesure de bon sens, partant du fait que cette cour d'appel joue déjà plus ou moins ce rôle : parmi les 487 affaires d'arbitrage international traitées par les cours d'appel de 2019 à 2022, 404 l'ont été par celle de Paris.

L'article 12 actualise, en l'étendant, la liste des preneurs de risques ayant exercé dans un établissement de crédit ou une société de financement pour lesquels l'indemnité de licenciement est calculée sans prendre en compte la partie de la rémunération variable qui aurait été réduite ou restituée du fait d'une sanction.

Enfin, le titre IV de la proposition de loi comporte les dispositions nécessaires à son application à l'outre-mer et le calendrier de son entrée en vigueur.

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