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Intervention de Rima Abdul-Malak

Réunion du jeudi 28 mars 2024 à 13h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Rima Abdul-Malak, ancienne ministre de la culture :

Je vous remercie de votre invitation. Cette commission d'enquête est importante et se présente à un moment-clé : c'est la première fois qu'autant d'autorisations de diffusion arrivent à échéance la même année, dans un paysage audiovisuel qui n'a cessé d'évoluer, avec une concurrence des géants du numérique de plus en plus forte et une régulation qui a elle-même évolué. Les interventions de mes illustres prédécesseurs montrent bien quelles étapes ont été franchies au long de ces trente dernières années et comment notre modèle de régulation a su s'adapter.

Vous l'avez rappelé à plusieurs reprises au cours de vos auditions, les canaux de diffusion de la TNT utilisent des ondes radioélectriques qui sont un bien public. Les fréquences appartiennent à l'État et c'est l'Arcom qui les attribue gratuitement, en contrepartie de règles et d'obligations. Ces principes de fonctionnement sont en fait assez complexes et méconnus. Je salue l'existence même de votre commission d'enquête et la médiatisation de vos auditions, qui possède une vertu pédagogique, à l'heure où la confiance des Français dans les médias se dégrade. Près de 60 % d'entre eux considèrent qu'il faut se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d'actualité, selon le dernier baromètre La Croix-Kantar Public sur la confiance des Français dans les médias.

Or cette confiance dans les médias est un enjeu vital pour l'avenir de notre démocratie. Sur quoi se fonde-t-elle ? Est-ce que tous les Français se sentent représentés dans les médias ? Est-ce que l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent, pour reprendre les termes de la loi de 1986, sont respectés ? Le baromètre que je mentionnais montrait que près des deux tiers des Français considèrent que les journalistes ne sont pas totalement indépendants.

Quels repères peut-on avoir dans la jungle des réseaux sociaux ? Un Français sur deux se dit confronté plusieurs fois par semaine à de fausses informations sur les réseaux sociaux. Face à la puissance des algorithmes et aux nouveaux défis posés par l'intelligence artificielle, ce sont des constats assez vertigineux. Nous avons collectivement un défi majeur à relever : contribuer à rétablir la confiance des Français dans les médias. Chacun peut y prendre sa part. Quand j'ai été ministre, de mai 2022 à janvier 2024, cette tentative de contribuer, autant que possible, à rétablir la confiance des Français dans les médias a constitué un fil rouge de mon action pour tous les sujets liés au champ de l'audiovisuel et de la presse, qui s'est traduit par de nombreux chantiers.

Ma priorité a été de renforcer l'audiovisuel public et de l'accompagner dans les mutations qu'il a à faire face à tous ces défis : un nouveau mode de financement, une visibilité pluriannuelle sur cinq ans au lieu de trois, une trajectoire budgétaire négociée en hausse jusqu'à 2028, des objectifs stratégiques clarifiés.

Je me suis aussi attachée à consolider, autant que possible, le modèle de la filière presse, dans un contexte d'inflation très important. Nous avons ainsi pu offrir un soutien exceptionnel aux éditeurs de presse. J'ai aussi eu à cœur d'explorer toutes les voies pour préserver la solidité des chaînes privées, en lançant notamment une réflexion sur les secteurs interdits à la publicité, pour aller vers des assouplissements, et en conservant une position assez claire de statu quo sur la publicité dans l'audiovisuel public, de sorte à ne pas revenir sur l'interdiction après 20 heures et à préserver les recettes publicitaires des chaînes privées. Nous avons aussi eu des débats très riches, au niveau national comme européen, en vue de l'adoption du règlement (UE) 2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques, dit Digital Services Act (DSA), qui contient des mesures de lutte contre la désinformation, et de la proposition de règlement établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur – législation européenne sur la liberté des médias –, le futur European Media Freedom Act (EMFA).

En parallèle, nous avons anticipé des mutations plus globales qui touchent aussi la filière audiovisuelle, grâce au plan France 2030. Nous avons investi massivement dans le développement des studios de tournage, dans celui de la formation aux métiers du son, de l'image et du numérique, avec l'objectif de doubler nos capacités de formation à l'horizon 2030. Cette relève des métiers et des talents est aussi un enjeu vital pour assurer la pérennité et la souveraineté de nos industries culturelles, dont fait partie le secteur de l'audiovisuel.

Nous avons également anticipé les défis liés au développement de l'intelligence artificielle (IA), en créant le comité interministériel de l'intelligence artificielle générative sous l'égide de la Première ministre, Élisabeth Borne. En articulation avec ce comité, j'avais installé un groupe d'experts pour travailler plus spécifiquement sur l'impact de l'IA sur la culture et la question de la fiabilité de l'information. Pendant les vingt mois où j'ai été ministre de la culture, je m'en suis toujours tenue à mon rôle, en prenant soin de préciser, chaque fois que nécessaire, ce qui relève du rôle de l'Arcom, régulateur strictement indépendant, et en rappelant le cadre légal qui s'applique.

Le paysage audiovisuel a été bouleversé par deux révolutions successives : la multiplication des chaînes d'information, puis l'envahissement des réseaux sociaux. Une troisième révolution est à l'œuvre, celle de l'intelligence artificielle. Nous vivons un moment crucial, qui nous amène à réfléchir tous ensemble à ce que la nation doit attendre des chaînes d'information. Certains avancent que l'existence de quatre chaînes d'information en continu en clair nécessite qu'elles se distinguent les unes des autres, ce qui pourrait aller jusqu'à justifier que certaines deviennent un jour des chaînes d'opinion, quitte à faire évoluer la loi pour les autoriser. Je ne le pense pas. À mes yeux, il nous faut être de plus en plus vigilants quant à la véracité et à la fiabilité de l'information ainsi qu'au respect de la loi, et combattre les complots et les fake news. Indépendance, fiabilité, pluralisme, ces trois mots doivent rester la boussole de la TNT, tout en respectant, évidemment, la liberté éditoriale des médias.

Ces derniers mois, avant de quitter le Gouvernement, j'avais commencé à travailler, avec mon équipe et mes services, à un projet de loi, que j'espérais pouvoir présenter après les états généraux de l'information, relatif à la confiance dans les médias. Ça n'allait pas être un grand soir législatif, mais une actualisation de la loi de 1986, notamment sur les questions de concentration. Je rejoins d'ailleurs complètement les propositions de Roselyne Bachelot qui a énormément œuvré sur ces sujets. Nous en avions beaucoup discuté quand j'étais à l'Élysée. Un rapport commandé en 2022 à l'Inspection générale des affaires culturelles et à l'Inspection générale des finances sur la concentration des médias nous a beaucoup aidées.

J'espère que vos travaux, ceux de la mission d'évaluation de la loi Bloche, les travaux antérieurs de la commission d'enquête du Sénat menée par Laurent Lafon et David Assouline et les états généraux de l'information permettront d'affiner toutes ces réflexions pour réfléchir ensemble à la meilleure manière de renforcer la fiabilité, le pluralisme et l'indépendance de l'information dans notre pays.

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