Je suis très heureux d'être devant vous pour faire un rapide exercice d'archéologie politique. Lorsque j'ai pris mes fonctions, en 2004, il n'y avait que six canaux de télévision pour l'ensemble du pays.
Nous avons dû faire face à l'irruption du numérique. C'était un défi redoutable, notamment en matière de droits d'auteur, qui a suscité des débats parlementaires enflammés et des difficultés majeures pour le gouvernement, lequel devait essayer de convaincre qu'il pouvait exister une offre légale à l'ère numérique. Ce débat sur les droits d'auteur a débouché sur la création de l'Autorité de régulation des mesures techniques (ARMT), l'ancêtre de la Hadopi. Il nous a donné l'occasion de réaffirmer un certain nombre de valeurs – par exemple, le fait que le travail, la liberté et le talent des artistes méritaient d'être rémunérés et soutenus. Voilà pour le volet culturel et artistique.
S'agissant des médias audiovisuels, nous avons vécu une période très riche marquée par une articulation particulièrement féconde entre l'Élysée, le gouvernement, l'Assemblée nationale, le Sénat et, à l'époque, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Pour être franc, nous n'étions absolument pas dans une atmosphère de commission d'enquête : dans le respect des responsabilités, de l'autonomie ou de l'indépendance de chacun, nous nous appliquions à définir un objectif commun et nous cherchions les moyens d'y parvenir. Je me souviens d'un déplacement que j'ai fait à Londres avec Dominique Baudis, le président du CSA, pour étudier concrètement la façon dont s'était passé le déploiement du numérique et de la TNT en Grande-Bretagne et la possibilité d'adapter chez nous un certain nombre de dispositions prises dans ce pays.
Dans le prolongement de la loi de 1986 relative à la liberté de communication, qui était une loi fondamentale et qui reste, malgré de nombreuses modifications, le socle des principes républicains qui guident notre action, nous avons fait voter deux lois : la première, la loi du 9 juillet 2004, a ouvert le champ de la TNT et permis le passage de six à dix-huit chaînes – je reviendrai par la suite sur quelques-unes de ses modalités pratiques –, tandis que la seconde, la loi du 5 mars 2007, visait à organiser le basculement de l'analogique vers le numérique.
Il y avait, comme toujours, une sorte de décalage entre Paris, où tout est plus facile, où l'offre culturelle et l'offre de communications sont très larges, et le reste du territoire national. Lors d'un déplacement dans le Jura ou dans le Doubs, alors que j'avais un peu d'avance dans mon programme, je me suis arrêté dans une station-service et j'ai invité les gens qui m'accompagnaient à prendre un café. Au bout de la table, j'ai entendu un gendarme dire à son collègue que les décodeurs allaient être très vite épuisés et qu'il fallait donc se dépêcher d'en acheter un. Or, à l'époque, ni le Doubs ni le Jura n'étaient couverts ni sur le point d'être couverts par la TNT. Cet échange montrait non seulement un vrai décalage, mais également que l'explosion de l'offre gratuite était perçue comme une chance.
La question du pluralisme ne se posait pas du tout dans les mêmes termes qu'aujourd'hui. Par définition, le passage de six à dix-huit chaînes allait être une chance incroyable, en termes de diversité des programmes ou de diversité des sources d'information. Certains d'entre vous sont peut-être trop jeunes pour se rappeler que France 5 et Arte se partageaient alors la même zone de diffusion. France 4 n'existait pas, les chaînes d'information en continu non plus. Cela paraît antédiluvien !
Ce pluralisme permis par la technologie devait s'inscrire au sein d'une offre accessible à tous. Nous avons ainsi eu un débat très technique sur le choix des normes de compression – je n'entrerai pas dans les détails car ce n'est pas le sujet de votre commission d'enquête. Contre l'avis d'un certain nombre d'opérateurs et même, en quelque sorte, du CSA, le gouvernement a choisi pour les chaînes gratuites la norme la plus accessible et la plus facile à mettre en œuvre, le MPEG-2, et pour les chaînes payantes une autre norme. Cette réforme technologique, qui représentait un progrès absolument essentiel, a donc donné lieu à un combat s'agissant des modalités techniques de sa mise en œuvre.
La seconde loi, celle de 2007, a organisé de manière implacable le basculement définitif de l'analogique vers le numérique, ce qui a permis l'apparition de plusieurs chaînes d'information supplémentaires et le passage de certaines chaînes du payant au gratuit. Le pluralisme de l'offre était rendu possible par une gestion politique de la diversité technologique.
J'en viens à l'articulation de notre travail avec celui du CSA de l'époque, devenu l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) depuis sa fusion avec la Hadopi. Nous avons d'abord connu une phase de concertation, de coopération, dans le respect rigoureux de nos compétences respectives et de l'autonomie du Conseil. Par la suite, ce dernier a assumé ses missions, notamment celle du choix des opérateurs, de manière totalement indépendante.
L'Arcom actuelle n'est pas une institution hors-sol. Dans une période particulièrement violente et tendue, dans l'actualité internationale comme en politique intérieure, sa mission essentielle consiste non seulement à veiller au respect du pluralisme dans l'expression des différentes sensibilités de l'arc-en-ciel politique, mais également à défendre un certain nombre de valeurs parmi lesquelles figure la diversité culturelle. Cette notion, apparue sur la scène internationale lorsque nous avons réussi à faire adopter la Convention de l'Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, paraît moins arrogante que celle d'exception culturelle, alors qu'il s'agit, au fond, de la même chose. Elle nous a permis de disposer d'un instrument juridique pour échapper à l'économie marchande.
La TNT est une chance. Les chaînes regroupées en son sein sont soumises à des règles juridiques certes perfectibles, mais extraordinairement précises comparées à la jungle des réseaux sociaux. Ne soyons pas injustes ! Ce n'est pas parce qu'il y a des choses à améliorer qu'il faut remettre en cause l'équilibre trouvé entre les opérateurs et les investisseurs et dissuader ces derniers d'investir dans la création audiovisuelle et l'information. Je cherche plutôt à les remercier, parce que nous avons besoin de partenaires qui s'engagent et soutiennent les causes que sont la promotion de la diversité culturelle et le respect de l'information.
Dans cet air du temps particulièrement violent, le travail et la déontologie des journalistes sont sacrés. Ce sont des valeurs absolument essentielles qu'il convient de défendre. En tant que président du Festival international de photojournalisme, je sais de quoi je parle : selon qu'elle est signée ou non, une photo représente la réalité ou la déforme. À côté des journalistes qui travaillent, les commentateurs, les analystes et les éditorialistes ont le droit de se contredire et de s'étriper – et heureusement, car c'est la liberté qui caractérise une démocratie vivante !