Nous vous remercions de nous recevoir aujourd'hui pour évoquer le sujet fondamental de la souveraineté alimentaire. Cependant, je crains que nous n'ayons déjà perdu cette souveraineté en ce qui concerne la volaille. Il est beaucoup question d'énergie en ces temps d'inflation, mais je tiens à rappeler que l'alimentation est elle aussi une affaire d'énergie, l'énergie du corps. Il est essentiel que les décideurs politiques agissent rapidement dans ce domaine.
La volaille a été mise à l'honneur ces dernières années, ne serait-ce que pendant le débat télévisé de l'entre-deux tours de l'élection présidentielle, mais aussi plus récemment, lors du Salon de l'agriculture. Or aujourd'hui, la France importe un poulet consommé sur deux. Cette perte de compétitivité s'est effectuée de manière régulière : en l'an 2000, nous importions 25 % de notre consommation, contre seulement 10 % en 1990.
La consommation continue pourtant à augmenter, pour différentes raisons. La volaille est peu grasse donc prisée en matière de diététique et elle n'est pas non plus frappée par des interdits religieux, contrairement à la viande de porc ou d'autres viandes. La volaille standard représente aujourd'hui 85 % de la consommation française, contre 80 % en 2018. De facto, toutes les productions qui sont montées en gamme ne se sont pas vues récompensées par des consommations plus élevées.
Quelles sont les raisons de cette perte de souveraineté ? La première concerne le manque de compétitivité de la France. Aujourd'hui, il faut plus de quatre à cinq ans pour monter un bâtiment d'élevage, quelle que soit la viande concernée. Ensuite, les taxes que nous subissons sont supérieures d'environ 11 % à celles de nos voisins. Le coût horaire de la main-d'œuvre est également plus élevé en France, notamment par rapport à la Pologne. : 26,50 euros de l'heure en France contre 9 euros en Pologne. La France produit douze à quatorze millions de poulets par semaine quand trente millions le sont en Pologne sur la même période, alors que ce chiffre n'était que de huit millions en 2000. Les contraintes administratives pèsent également : pour pouvoir monter une exploitation aujourd'hui, il faut surmonter un véritable parcours du combattant, qu'il s'agisse des directives européennes, des arrêtés de biosécurité ou des enquêtes publiques françaises.
En 2023, le prix moyen du filet de poulet brésilien est de 3,10 euros lorsqu'il arrive dans nos ports, contre 3,30 euros pour le filet ukrainien, entre 3,50 euros et 5,50 euros pour le filet européen et 5,80 euros pour le filet français. Avec la montée en gamme, le prix de détail au kilogramme peut atteindre 20 à 30 euros. Les Français dépensent en moyenne entre 9 et 11 euros par personne pour se nourrir chaque jour. En tant qu'élus, vous êtes peut-être responsables de restauration scolaire et universitaire et savez bien que l'on ne peut pas nourrir la France que de produits bio.
Le manque de compétitivité est également lié aux élevages. Les élevages français favorisent le bien-être animal, avec des animaux élevés en plein air et des élevages bénéficiant de lumière naturelle. La surface d'un élevage moyen est de 2 000 à 2 500 mètres carrés. En Pologne ou en Ukraine, il existe de véritables bâtiments industriels, des « usines à poulets » qui élèvent 1 800 000 poulets par lots. Multipliés par sept lots, on atteint un chiffre supérieur à 11 millions sur une ferme par semaine, soit l'équivalent de l'ensemble de la production française.
La deuxième raison de la perte de compétitivité tient au fait que la volaille est en quelque sorte la variable d'ajustement, la monnaie d'échange de l'Europe dans ses négociations. Nous en avons assez de voir qu'à l'issue de chaque négociation d'accord, le commissaire européen au commerce accepte la hausse des quotas de cuisses ou de filets de poulet. L'Europe offre chaque année des quotas d'importation à droits réduits. Elle importe aujourd'hui du Mercosur 50 000 tonnes de porcs, 350 000 tonnes de bovins et 500 000 tonnes de volailles à droits réduits et négocie actuellement 35 000 tonnes supplémentaires de porcs, 80 000 tonnes supplémentaires de bovins et 180 000 à tonnes supplémentaires de volailles. Avec le Chili, nous négocions la mise à disposition de terres rares contre une augmentation des quotas de volailles, 18 000 tonnes supplémentaires venant s'ajouter aux 22 000 tonnes existantes. Dans le même ordre d'idées, l'Ukraine disposait d'un quota historique de 90 000 tonnes et il est question de 120 000 tonnes supplémentaires, soit 210 000 tonnes au total.
Une autre raison de notre faiblesse a trait à la non-acceptabilité sociétale. Le modèle français repose sur un modèle familial, à l'opposé des fermes usines précédemment mentionnées. Malheureusement, notre filière fait l'objet de campagnes négatives de la part de célébrités et d'influenceurs militants, dont la presse se fait l'écho. Par exemple, MM. Nagui et Hugo Clément ont posé pour des photographies avec des volailles mortes dans les mains.
Un agriculteur veut développer une ferme dans la Drôme, à hauteur d'un million de poulets par an, sur sept bancs correspondant à autant de rotations et environ 4 000 mètres carrés. Ce faisant, il est accusé de vouloir monter une usine géante par une partie de la presse. De même, les ONG vilipendent les méthodes de production et d'abattage des sociétés Duc ou LDC et viennent envahir les élevages. Sous prétexte d'être des lanceurs d'alerte, leurs militants se permettent d'entrer sans autorisation, de placer des caméras et ainsi de commettre des actes inacceptables. Les éleveurs en ressortent traumatisés. La promotion du véganisme et de la fin de l'élevage représente un véritable danger pour la santé humaine, aux dires des médecins.
Certes, au sein de la profession, certains ne sont pas irréprochables. Mais l'immense majorité des salariés, des éleveurs, des abattoirs, des entreprises réalisent un bon travail et vivent très mal la situation actuelle. À ma connaissance, les volailles importées ne font pas l'objet de telles critiques, alors même qu'il y aurait beaucoup à dire sur les conditions de production ! Il sera donc nécessaire que les élus de la République se penchent, à leur niveau, sur l' agri-bashing.
Sachez par ailleurs que la France est le leader du bien-être animal (BEA), lequel porte notamment sur la répartition de la production ou la diminution des antibiotiques. En dix ans, l'ensemble de la profession a réduit de 80 % ses consommations d'antibiotiques, quand dans certains pays chaque lot de volailles subit trois traitements. Je rappelle que nous sommes très attachés à la clause miroir, qui ne correspond pas à la clause équivalente. Les clauses miroirs correspondent à des normes de production identiques pour chaque partie aux traités.
Face à l'ensemble de ces problèmes, nous souhaitons apporter des propositions. Le Gouvernement s'est déjà penché sur la réduction des possibilités et des temps de recours, ainsi que sur leur compétence géographique. Aujourd'hui, une association marseillaise peut très bien porter plainte contre un projet d'élevage de volailles dans la région brestoise. Nous voulons également mettre fin aux surrèglementations européennes et maintenir la diversité française. Je rappelle que nous sommes le seul pays à proposer à la fois de la dinde, de la pintade, du canard, de la caille et du pigeon. Si la tendance actuelle se poursuit, cette variété de production n'existera plus dans cinq ans.
Nous sommes également favorables à une plus grande transparence auprès du consommateur concernant l'étiquetage de l'origine. À titre d'exemple, les Ukrainiens exportent des filets de poulets vers des usines qu'ils possèdent sur le territoire européen, aux Pays-Bas, où ils sont ensuite levés sur des chaînes de production locales, leur permettant d'apposer un étiquetage néerlandais. Cette situation doit s'arrêter. De même, il faut cesser la nomenclature « origine UE » ou « origine hors UE », pour préciser le véritable pays d'origine.
Nous demandons également un moratoire sur les accords de libre-échange (ALE), ainsi que l'établissement de clauses miroirs et le renforcement des contrôles sur les accords existants. J'ai eu l'occasion de discuter avec des commissaires européens à l'agriculture et avec les ministres de l'agriculture successifs. Tout le monde me rétorque que nous n'avons pas les moyens d'agir. Je suis pro-européen, mais je déplore que nous ne nous donnions pas les moyens d'effectuer des contrôles de qualité. Lors d'un contrôle effectué dans le port de Rotterdam il y a quatre ans, 20 % à 25 % des filets de poulet brésiliens contrôlés étaient affectés par des salmonelles.
Enfin, nous avons besoin du soutien des décideurs politiques et du Gouvernement. En résumé, la filière se mobilise pour lutter contre les nouveaux contingents d'importation, renforcer l'information et les contrôles afin que l'étiquetage soit mis en œuvre, inclure des causes miroir, faciliter le dialogue avec la société, limiter les possibilités de recours devant les tribunaux administratifs et accompagner les investissements en fonction des débouchés réels. La montée en gamme un peu forcée d'un certain nombre d'éleveurs en label et en bio se retourne contre eux aujourd'hui, car leurs prix sont trop élevés.