Le sujet de la souveraineté alimentaire s'est imposé dans l'actualité gouvernementale et dans celle des filières agricoles et agroalimentaires après la crise du covid. Nous avons pris conscience des dépendances existant dans notre approvisionnement, ce qui nous a conduits à nous interroger : la France serait-elle en mesure d'alimenter les Français si toutes les frontières étaient fermées ?
La souveraineté alimentaire n'est pas l'autosuffisance car la France s'inscrit pleinement dans des échanges, des importations et des exportations, au sein d'un marché mondial de biens agricoles et agroalimentaires. Plutôt que de souveraineté alimentaire, il serait donc plus sain de parler de capacité à assurer, dans le cadre de ces échanges, l'alimentation des Français.
Nous sommes certes dépendants de certaines importations mais également d'exportations, sans lesquelles l'équilibre économique des filières ne serait pas assuré. Dans cette globalité, il s'agit donc de veiller à ce que notre système de production soit suffisamment résilient et durable pour garantir l'alimentation de notre population.
Ensuite, il faut déterminer ce que l'on cherche à mesurer. Dépendre d'autres pays de l'Union européenne, est-ce pareil que de dépendre de pays tiers, pour certains peu amicaux et très puissants ? Nous devons analyser les dépendances de certaines de nos productions aux débouchés de pays tiers souvent assez distants – la Chine en est le principal exemple, quoiqu'il arrive aussi que des pays alliés soient préjudiciables à nos marchés.
Où en est donc notre souveraineté ? Est-ce qu'elle s'améliore ou se détériore ? Dans quels segments de la production sommes-nous particulièrement dépendants, que ce soit à l'importation ou à l'exportation ?
Notre balance commerciale agricole et agroalimentaire est positive, essentiellement grâce à trois secteurs. Celui des vins et spiritueux est le plus excédentaire, de façon continue ou du moins sans accident – même si le solde diminue en volume, il continue à progresser en valeur. Nous sommes également très excédentaires en céréales brutes, mais avec des fluctuations d'une année sur l'autre, parfois en volume – il est arrivé une ou deux fois sur les cinquante dernières années que la production française ne soit pas au rendez-vous –, mais surtout en valeur. Le solde est très dépendant du cours des céréales, qui connaît de fortes variations comme les autres matières premières échangées dans le monde : au plus haut de la crise en Ukraine, le prix de la tonne de blé s'est élevé à plus de 400 euros, alors qu'il est actuellement au-dessous de 200 euros et qu'à son plus bas, dans les années 2013 et 2014, il est descendu à 140 euros. Le troisième poste est celui des produits laitiers.
Si l'on enlève les produits bruts, comme les céréales, ou les vins et spiritueux – dont on peut se demander s'il est pertinent de les inclure dans la notion de souveraineté alimentaire -, pour ne considérer que les produits transformés, on observe que notre balance commerciale se dégrade. Il est notable que, sur ces trois ensembles – les produits bruts, les vins et spiritueux et les produits transformés –, la balance se dégrade précisément là où elle n'est pas très bonne et progresse là où elle l'est. La France compte donc des atouts, qu'elle sait valoriser, mais aussi des handicaps, qu'elle n'arrive pas à surmonter et qui continuent de peser lourd dans son solde commercial.
Pour analyser de plus près notre souveraineté alimentaire, il faut distinguer les pays tiers et l'Union européenne. Nous sommes de moins en moins autosuffisants, voire plus du tout, vis-à-vis du reste de l'Union européenne : nous importons plus de produits agricoles et agroalimentaires que nous n'en exportons. C'est le contraire vis-à-vis des pays tiers : notre balance commerciale est de plus en plus positive.
Il est nécessaire d'entrer dans le détail de chaque secteur. Ainsi, alors que nous produisons suffisamment de porc en kilogrammes pour couvrir la consommation française, nous en importons et nous en exportons. Pour répondre à la demande nationale, il faudrait en effet que chaque porc ait trois pattes postérieures, afin de faire trois jambons, car nous en consommons plus que nous n'en produisons. À l'inverse, nous exportons des pièces que nous ne consommons pas – notamment les abats vers la Chine. Filière par filière, le même constat s'impose souvent. C'est le cas pour les produits laitiers : nous consommons plus de matière grasse que nous n'en produisons ; nous exportons donc des protéines de lait, de la poudre de lait écrémé, mais nous importons du beurre. Il faudrait que les vaches produisent du lait plus gras, ce qui se heurte à certaines limites biologiques.
Dresser un vrai diagnostic suppose donc d'étudier la situation secteur par secteur. Pour chacun d'eux, nous avons calculé le taux de couverture de la consommation française par la production afin de déterminer si nous étions dépendants des importations. Les résultats varient selon les filières.