Intervention de Yves Madre

Réunion du mardi 26 mars 2024 à 16h30
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Yves Madre, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, ancien conseiller du commissaire européen à l'agriculture et au développement rural, économiste au sein du groupe de réflexion Farm Europe :

L'objectif initial de la PAC était bien la souveraineté alimentaire pour les Européens, entendue comme la capacité à avoir suffisamment d'alimentation pour chacun en quantité et en qualité à des coûts raisonnables. Cela impliquait de fait une agriculture et des agriculteurs qui pouvaient se projeter et continuer à développer cette production.

Si l'objectif initial persiste, des choix supplémentaires ont été faits et cette politique a évolué au cours du temps. Le premier choix a été en 1992 celui d'une PAC qui se préoccupe des consommateurs et de leur pouvoir d'achat. C'est la baisse des prix et le passage à des aides compensatoires aux agriculteurs. L'accord politique était très clair entre le monde politique et le monde agricole.

Les attentes se sont ensuite renforcées : la Politique agricole commune s'est également tournée vers les citoyens, les agriculteurs devant alors remplir une mission de dynamisation du tissu rural. Plus récemment, il leur a été demandé de se préoccuper de la gestion de l'environnement et de lutter contre le changement climatique.

Une autre mesure décidée dans les années 2003 a été favorable aux contribuables : l'arrêt de l'indexation des aides de la PAC sur l'inflation. Ce n'est pas neutre. L'absence d'indexation a absorbé les gains de productivité réalisés par les agriculteurs lorsque l'inflation était contenue, puis elle a eu un impact significatif lorsque l'inflation s'est élevée ces dernières années.

Il ne faut pas non plus oublier que l'Union européenne est passée de six à vingt-sept membres, avec des coûts de production extrêmement différents. Il est devenu impossible de définir un prix de base ou un prix d'intérêt qui aurait un sens au niveau de l'Union européenne.

Comment apprécier aujourd'hui la souveraineté alimentaire ? Il me semble qu'il n'est pas possible de considérer uniquement l'aspect agricole. Nous devons regarder la production et la dynamique de production agricole, mais aussi le prix payé par le consommateur et la qualité des produits, ainsi que des curseurs environnementaux : carbone, biodiversité, qualité des eaux, etc.

La bioéconomie me semble un dernier point très important. Si nous voulons réellement basculer vers une économie neutre en carbone au niveau de l'Union européenne, il nous faut à peu près 30 % de biomasse en plus en vingt-cinq ans. C'est atteignable, mais c'est un défi. Par ailleurs, voulons-nous développer cette bioéconomie à partir d'importations ou de productions européennes ? Aujourd'hui, nous importons l'essentiel de la biomasse que nous utilisons pour le développement de notre bioéconomie, de notre bioénergie et de notre économie circulaire. Est-ce responsable ?

Si la France reste un pilier de la souveraineté alimentaire européenne grâce aux grandes cultures, ces dernières s'essoufflent. Dans le secteur de la viande – volaille, bovins –, le déficit se creuse.

La France a été un fer de lance en matière de bioénergie mais la capacité de production ne suit pas le rythme de la demande. Par conséquent, nous ne sommes pas capables de produire les protéines nécessaires pour l'alimentation animale. Notre dépendance s'accroît. Finalement, compte tenu de la baisse de 30 % en valeur économique des aides de la PAC en vingt ans, les agriculteurs sont la variable d'ajustement.

La France reste un grand pays agricole, mais c'est un colosse aux pieds d'argile. La composante économique agricole est extrêmement faible. En revanche la France n'a pas à rougir en matière d'environnement. Les agriculteurs n'ont pas attendu le Green Deal pour obtenir des résultats positifs, que ce soit sur le carbone, l'eau ou la biodiversité.

Au-delà des lamentations, une voie de dynamique peut être imaginée sans tout bouleverser. Cela demande d'investir dans les hommes et simultanément dans l'écologie et l'économie. La voie de crête existe à condition de retrouver une capacité d'investissement et de bénéficier d'un environnement économique suffisamment stable.

Il faut enfin signaler que la montée en gamme promise ne s'est pas opérée.

La PAC sera réformée prochainement. À peu près 70 % du Green Deal pour le secteur agricole sont à faire ou à refaire. Nous avons une opportunité unique dans les mois à venir pour redéfinir un cap, une dynamique de double performance économique et écologique, en arrêtant d'opposer économie et environnement. Des outils d'agriculture de précision existent et ne sont pas utilisés, il faut y remédier.

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