Intervention de Alessandra Kirsch

Réunion du mardi 26 mars 2024 à 16h30
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté alimentaire de la france

Alessandra Kirsch, ingénieure agricole, docteure en économie agricole, directrice générale du groupe de réflexion Agriculture stratégies :

Je voudrais rappeler les cinq objectifs de la PAC lors de sa création en 1957 : accroître la productivité de l'agriculture par le progrès technique ; assurer un niveau de vie équitable à la population agricole ; stabiliser les marchés ; garantir la sécurité des approvisionnements ; assurer des prix raisonnables aux consommateurs. Hormis le premier, qui a été atteint, ces objectifs restent d'actualité aujourd'hui.

Cependant, les outils mobilisés dans le cadre de la PAC ont évolué par rapport aux nécessités du commerce international et à l'évolution des exigences dans le cadre des négociations du GATT puis de l'OMC.

Le système de prix garantis subventionnés par la PAC permettait aux agriculteurs de connaître à l'avance le prix auquel ils pourraient vendre leur production. Cette visibilité leur permettait d'anticiper et d'investir, et de faire leurs choix en conséquence.

Cette PAC a conduit à de nombreux excédents et a coûté très cher. C'est une réalité. Il faut cependant signaler qu'avant sa réforme en 1992, des actions pour encadrer les volumes de production par des quotas – lait, céréales, viande – avaient d'ores et déjà été mises en place.

En 1992, l'arrêt du soutien par les prix et son remplacement par un système d'aides couplées à la production a été décidé pour trouver un accord avec les États-Unis et intégrer l'agriculture dans les accords du GATT (future OMC).

Nous sommes désormais dans un système d'aides découplées, qui ne sont liées ni à la production ni aux prix. Ces aides sont versées à l'hectare et d'un montant fixe, quel que soit le niveau des prix. Elles ont comme objectif de ne pas perturber le commerce, d'éviter toute distorsion. Elles ne peuvent aucunement servir un objectif de souveraineté alimentaire puisque, par nature, elles n'incitent pas à une production plutôt qu'une autre.

Les objectifs de la PAC ont également évolué. À ses débuts, la PAC était strictement « agricolo-agricole » alors que désormais elle incite les agriculteurs à protéger l'environnement, voire le climat. L'objectif sera-t-il demain de produire de l'énergie ? Peut-être.

Quoi qu'il en soit, il apparaît que les exigences envers les agriculteurs se sont accrues sans pour autant les rémunérer davantage. Le budget de la PAC en euros constants et à périmètre équivalent a ainsi diminué de 90 milliards d'euros en vingt ans. Par ailleurs, les agriculteurs ne sont pas non plus aidés à prendre en compte les risques associés à ces changements de pratiques.

Chaque année, ils sont confrontés à différents risques : un risque climatique, un risque sanitaire, un risque lié à la volatilité des prix et, désormais, de plus en plus de risques juridiques et administratifs.

La transition agroécologique et le fait d'évoluer vers des pratiques plus vertueuses et d'abandonner certaines molécules chimiques au profit de régulations biologiques constituent un risque supplémentaire qui amplifie les autres. Les agriculteurs doivent adopter des solutions dont l'efficacité dépend du climat et impacte leurs rendements, donc leurs revenus. Or la PAC verse des aides fixes à l'hectare qui ne sont pas adaptées à cette nouvelle situation.

Pour conclure sur la souveraineté alimentaire, il est nécessaire de choisir ses dépendances mais il faut aussi intégrer l'aval. Si vous regardez les ratios d'autosuffisance de la France, nous avons souvent le défaut de les considérer au niveau de la production brute sans intégrer la transformation et l'aval. Ainsi, dans la filière poulet où nous sommes très déficitaires, nous importons des poulets découpés ou désossés parce que nous ne sommes pas compétitifs sur la transformation alors que nous continuons à exporter de poulets entiers. Il en va de même pour le blé dur, alors que notre production nous permettrait de produire toutes nos pâtes. Nous importons pourtant de la semoule et des pâtes parce que nous n'avons pas suffisamment d'usines pour fournir des produits finis aux consommateurs.

Si nous voulons raisonner en termes de souveraineté, nous devons intégrer l'amont et l'aval ainsi que les attentes du consommateur et son consentement à payer. Qu'on le veuille ou non, l'alimentation est aujourd'hui une variable d'ajustement dans un budget contraint. Nous devons donc être capables de produire ce que nos concitoyens ont la capacité de consommer.

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