Je rappellerai qu'en termes de souveraineté alimentaire, l'Europe est à peu près autosuffisante dans les grands produits. Les problèmes rencontrés concernent plutôt la dépendance à des intrants qui peuvent être des biens essentiels et qui sont importés d'un petit nombre de pays pas toujours fiables d'un point de vue géostratégique. Plusieurs questions se posent donc : de qui sommes-nous dépendants ? nos fournisseurs sont-ils diversifiés ? ces biens sont-ils indispensables ou peuvent-ils être remplacés ? l'ensemble de la chaîne logistique connaît-elle des faiblesses ?
Notre faiblesse se situe surtout sur les engrais, phosphore, potasse, azote, qui nous permettent de produire des céréales. Notre industrie des engrais a connu un certain déclin et nous ne sommes pas du tout autosuffisants. Nous sommes aussi dépendants de différents produits qu'il faut identifier dans le textile, le cuir, l'équipement électrique, l'énergie, les produits pharmaceutiques. Ce sont les vrais points de faiblesse.
La diversification est un moyen de résoudre ces points de faiblesse, de même que le repli sur des partenaires fiables. Il me semble qu'il y a aussi peut-être une responsabilité de ma génération d'agronomes et de la PAC sur notre mode de production, qui nous a rendus assez dépendants de ces importations avec les fragilités que cela implique. Dans les années 1960, il nous paraissait normal de nous reposer sur ces intrants importés pour produire notamment du maïs et du soja. Or le soja est une de nos grandes faiblesses dans la souveraineté alimentaire.
La PAC a encouragé une agriculture intensive au travers du mécanisme d'intervention de l'époque – les prix garantis – et tout un ensemble de facteurs tels que l'agrandissement des parcelles. La PAC continue d'ailleurs à favoriser cet agrandissement avec des aides à l'hectare qui permettent aux plus grosses exploitations de racheter les plus petites.
Cependant, si la PAC a une certaine responsabilité historique, je pense qu'elle n'est plus aussi incitative de cette dépendance des produits importés. Il me semble que c'est plutôt sur la politique française qu'il faudrait réfléchir, surtout depuis le 1er janvier 2023.
Je rappelle qu'en 1978, le PDG de l'INRA (Institut national de la recherche agronomique), Jacques Poly, s'était déjà inquiété de la fragilité du modèle qu'il avait contribué à développer, à savoir l'élevage intensif et le modèle maïs-soja qui s'est imposé dans les années 1960. Il avait alors plaidé pour une agriculture plus autonome et plus économe car plus nous dépendons d'intrants extérieurs à l'exploitation, plus la fragilité économique et géostratégique est grande. Dans ce contexte, des techniques à bas intrants peuvent être considérées comme une forme de souveraineté alimentaire, de sécurité.
La fragilité économique est régulièrement observable. Lorsqu'après une période de prix des céréales élevés le marché s'est retourné en 2014-2015, les agriculteurs qui avaient adopté un modèle intensif en céréales ont accumulé des impayés de produits phytosanitaires pendant deux à trois ans.
Je pense qu'il y a un intérêt en termes de souveraineté alimentaire d'essayer d'être moins dépendants des intrants extérieurs à l'exploitation et extérieurs à la France.