Internet est devenu non seulement un lieu de violence mais aussi un accélérateur des incivilités de notre société. Trop longtemps, nous avons laissé faire. Sous prétexte que cet espace est difficilement contrôlable, nous nous sommes habitués au pire.
Les images et les vidéos choquantes sont devenues accessibles à tous, y compris à ceux qu'elles peuvent heurter. Les menaces et les insultes servent désormais de langage commun sur les réseaux sociaux et le harcèlement en ligne est aujourd'hui monnaie courante, notamment dans les collèges et les lycées.
Face à ces dérives, la mise en place d'une régulation en ligne s'impose mais dans un cadre respectueux de nos libertés fondamentales. L'universalité d'accès, la liberté d'expression, le partage des connaissances sont des valeurs cardinales d'internet. Elles ne doivent pas souffrir de compromissions. La nécessité de réguler ne doit pas s'apparenter à une volonté de censurer.
Trouver le bon équilibre n'est pas un chemin facile, d'autant qu'à ces exigences vient s'ajouter une contrainte : celle du respect du cadre européen. Le projet de loi a précisément eu du mal à s'adapter à cet impératif. La Commission européenne est intervenue à deux reprises dans le processus législatif en adressant un avis circonstancié à la France afin qu'elle se conforme au Digital Services Act.
À cela s'est ajouté un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) opposant le gouvernement autrichien aux grandes plateformes que sont TikTok, Meta et Google. Une nouvelle fois, le pouvoir des États membres face aux plateformes a été fortement limité.
Ces multiples impératifs ont rendu difficile la concrétisation et l'aboutissement d'un texte. Plusieurs des mesures mises en œuvre risquent de manquer d'efficacité voire de provoquer des effets de bord.
C'est le cas pour le dispositif visant à limiter pour les mineurs l'accès à la pornographie. S'il est légitime d'imposer de nouvelles contraintes aux sites pornographiques, on peut s'interroger sur les modalités de contrôle prévues. Préserveront-elles vraiment l'anonymat de l'internaute ? N'y a-t-il pas un risque de dérive avec la création de fichiers de recensement des consommateurs ? Et quelle sera l'efficacité de ce dispositif de contrôle ? Les dispositions de l'article ne s'appliquant qu'aux entreprises implantées en France et aux pays extra-européens, les géants du porno risqueront de passer entre les gouttes.
Nous sommes par ailleurs dubitatifs quant à l'effectivité de la peine de blocage du compte d'accès aux réseaux infligée à une personne condamnée. Cette solution est aisément contournable : il sera difficile de vérifier que ladite personne ne change pas de VPN – réseau privé virtuel – afin de poursuivre ses activités sur internet.
En revanche, je suis favorable à la création d'un délit d'outrage en ligne, qui permettra d'appliquer une sanction immédiate par le biais d'une amende forfaitaire délictuelle, et j'adhère aux mesures visant à préserver notre souveraineté numérique.
Du fait de l'effet de réseau, internet évolue vers une hypercentralisation, au profit de grands acteurs privés. C'est particulièrement vrai dans le secteur de l'internet en nuage, dit cloud. L'Europe se trouve largement distancée par trois acteurs américains, qui mettent en œuvre des pratiques anticoncurrentielles pour surpasser les petits acteurs, voire les étouffer. Le projet de loi va dans le bon sens en abaissant les barrières posées par cet oligopole à l'entrée et à la sortie.
Nous nous réjouissons par ailleurs que la commission mixte paritaire ait conforté la protection des données sensibles en imposant que les hébergeurs soient localisés au sein de l'Union européenne.
Reste désormais la tâche la plus difficile : bouleverser les habitudes des praticiens qui, formés sur des logiciels américains, tendent à favoriser leur utilisation au cours de leur vie professionnelle.
Un mot pour finir sur les Jonum. Il était nécessaire de construire un cadre juridique adapté à ces jeux situés à mi-chemin entre les jeux vidéo et les jeux d'argent et de hasard. Celui qui a été adopté permet des avancées : il limite les risques de pertes financières et les addictions en interdisant par principe le gain monétaire. Nous resterons néanmoins vigilants s'agissant des dérogations importantes octroyées pour les gains en cryptomonnaie, qui sont de nature à amoindrir la portée du principe posé.
Dans la lignée des règlements européens sur le numérique, ce projet de loi a tenté d'avancer sur une ligne de crête. S'il a réussi à maintenir un équilibre s'agissant de la défense de notre souveraineté numérique, il se montre plus chancelant concernant la protection des internautes. Une majorité de notre groupe votera néanmoins en faveur de ce texte.