Intervention de Annabelle Moatty

Réunion du lundi 18 mars 2024 à 14h30
Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Annabelle Moatty, géographe et chercheuse au CNRS :

Le PPRN constitue un sujet épineux, comme l'ont montré les auditions qui ont eu lieu les semaines précédentes.

La révision de ce plan à la suite d'une catastrophe est systématique, et elle est d'autant plus nécessaire que l'intensité de l'événement a dépassé l'aléa de référence qui figurait dans l'ancien PPRN.

Tout d'abord, je connais peu de cas où cette révision s'est très bien passée et n'a pas suscité des heurts ou des contestations – y compris lorsque cette démarche a été réalisée sans qu'une catastrophe soit intervenue au préalable.

Le PPRN est un document d'aménagement et d'urbanisme qui vise principalement, dans les zones où les aléas sont les plus élevés, à ne pas exposer les habitants à un risque de décès. Dans les zones littorales par exemple, le PPRN repose sur la définition de zones dont un adulte en bonne santé aurait beaucoup de mal à partir avant que n'arrive une vague d'une hauteur et d'une vitesse données. Il s'agit d'une gestion de la mise en danger de la vie des administrés.

Le statut administratif de Saint-Martin – que vous connaissez bien – n'est pas sans poser des questions en matière de répartition des compétences s'agissant de l'environnement, de l'aménagement et de l'urbanisme. En outre, le foncier est fort complexe et peu disponible, avec beaucoup de parcelles en indivision. De nombreux biens ont été acquis dans le cadre de schémas de défiscalisation, avec pour effet qu'un certain nombre de propriétaires ignoraient qu'ils possédaient des biens à Saint-Martin. Cela a rendu plus complexe la gestion de la reconstruction – les assureurs vous en diront peut-être un mot.

La topographie de l'île est complexe : le pic Paradis, situé en son cœur, contraint fortement l'aménagement. Le territoire vit d'une économie centrée exclusivement sur le tourisme. L'une de vos questions portait sur la conciliation entre les règles d'urbanisme et le développement du territoire destiné à assurer la subsistance des habitants. Il est évident qu'il est difficile pour une île vivant essentiellement du tourisme – et singulièrement de la beauté de ses paysages et de sa qualité de vie – d'envisager de reculer toutes les activités sur le pic Paradis et d'interdire de construire sur le littoral.

L'étude que nous avons menée a mis en évidence qu'il y avait aussi une question de personnes. Le manque de cadrage de la reconstruction a laissé davantage de latitude aux différents acteurs. Les relations entre l'État et la collectivité ont été fort tendues pendant la période de révision du PPRN, ce qui a conduit à des communications parfois contradictoires, ayant pu, selon nous, semer le trouble dans la population.

Les zones à risque avaient été définies initialement dans le PPRN en extrapolant à partir des relevés des laisses de submersion. Cette méthode de dessin a posé des problèmes car elle entraînait des incohérences en raison de particularités topographiques locales. Ce premier zonage a été revu.

Il y a aussi eu des problèmes de communication en direction de la population, avec des réunions qui ont attiré très peu de monde et qui ne faisaient pas l'objet d'une traduction dans les différentes langues en usage. Cela n'a pas permis à la population de Saint-Martin de véritablement prendre part au débat et d'avoir accès à l'information.

À nos yeux, tous ces éléments de contexte ont contraint à réviser le PPRN.

Un effort important de concertation avec les populations a ensuite été réalisé, en mettant en avant les dommages liés au vent et le caractère prédominant de l'activité touristique sur le littoral. Il s'agissait de satisfaire les exigences de prévention et de mise en sécurité de la population, sans pour autant mettre ce territoire sous cloche et en lui permettant de se développer de nouveau et de vivre du tourisme. Comme l'a souligné M. Gibbs, le tourisme y est essentiel. Les caractéristiques du territoire rendent beaucoup plus difficile de développer des activités industrielles et agricoles.

Enfin, notre étude conclut que les dispositifs de défiscalisation en vigueur pendant les décennies qui ont précédé l'ouragan Irma ont pu engendrer à Saint-Martin une forme d'urbanisme peu adapté aux contraintes spécifiques locales. Ces dispositifs ont été créés pour de bonnes raisons et ont eu des conséquences positives, mais ils ont aussi eu des effets relativement pervers – nous pourrons vous communiquer les travaux de collègues à ce sujet, mais je ne développe pas davantage afin de conserver du temps pour répondre à d'autres questions.

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