Je vous remercie à mon tour, monsieur le président, monsieur le rapporteur, de me donner l'opportunité de présenter devant vous quelques résultats des travaux menés ces dernières années dans les outre-mer français.
Concernant la coordination entre les services de l'État, les collectivités territoriales et la population, je souhaite aborder le rôle du tissu associatif. Qu'il soit humanitaire, sportif ou culturel, il est particulièrement dense et dynamique en outre-mer. Après le passage du cyclone Irma à Saint-Martin, nous avons pu observer des élans de générosité entre les îles et depuis la France hexagonale, en particulier grâce au relais de personnes ayant des attaches dans les territoires touchés. Cette mobilisation est révélatrice de la ressource essentielle dont bénéficie la population. Le capital social de chacun lui permet, grâce à son réseau familial, professionnel, associatif ou communautaire, d'accéder à des soutiens matériels et psychologiques que ne peuvent pas toujours ou pas entièrement prendre en charge les autorités publiques. Les ONG, associations de l'urgence et du soutien à la reconstruction, venues de l'extérieur des territoires, ont été beaucoup plus efficaces sur le terrain lorsqu'elles avaient fait la démarche de mettre en place une coopération locale et pérenne.
Au cours des auditions précédentes ont été évoquées la désorganisation et la perte de temps induites par la multitude d'acteurs s'investissant dans la solidarité post-cyclone. Je me permets une recommandation : la formation des associations locales à la gestion des risques, quel que soit leur domaine d'intérêt, est essentielle : d'abord pour leurs propres structures, pour la sauvegarde de leur patrimoine et de leurs documents administratifs, car la reprise des activités de loisirs est un vecteur de résilience et se révèle importante pour la vie économique des territoires ; ensuite, pour qu'elles puissent être intégrées de façon pertinente à la gestion de crise, le cas échéant, et continuer ainsi de soutenir les populations sinistrées, en particulier à moyen et à long terme.
Vous nous avez interrogées sur la prise en compte du changement climatique dans les politiques de prévention. J'ai participé à deux études à ce sujet, l'une en Polynésie française, l'autre à Saint-Pierre-et-Miquelon. En Polynésie française, les habitants des atolls ont une perception très claire des changements ayant affecté localement, au cours des soixante-dix dernières années, la température de la mer et de l'air, les coraux, la faune et la flore. Mais il existe des différences suivant les générations et nous avons recommandé, dans notre étude, de renforcer la diffusion d'informations sur les situations locales. À Saint-Pierre-et-Miquelon, les habitants ont aussi une bonne connaissance des effets du changement climatique sur leur territoire et se montrent favorables à la poursuite d'une politique d'adaptation. Ces deux exemples ne sont peut-être pas généralisables ; leur validité dans les autres territoires doit encore être vérifiée.
Les modifications éventuelles des dates de la saison cyclonique et la récurrence d'événements plus puissants, du fait du changement climatique, nécessiteront une adaptation des plans de gestion. À cet égard, une approche multirisque permettrait de mieux anticiper. À l'issue d'une étude exploratoire sur la gestion multirisque, nous avons mis en évidence la non-prise en compte des scénarios multi-aléas dans la politique de réduction des risques de catastrophes – qu'il s'agisse d'une succession d'événements du même type, comme les cyclones Irma, José et Maria en 2017, ou du passage d'un cyclone pendant une crise volcanique comme en Guadeloupe en 1976. Cette situation n'est pas envisagée dans les exercices de crise, qui sont toujours mono-aléa.
Aussi puissant qu'il ait été, le cyclone Irma ne doit pas être l'événement cyclonique de référence dans la mémoire et la culture du risque sur les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, ni dans les autres territoires. Les témoignages que nous avons recueillis lors de nos missions de terrain décrivent des situations dramatiques de parents maintenant leurs enfants hors de l'eau à bout de bras, ou de familles qui s'étaient relogées avant le passage de l'œil du cyclone pour éviter d'être emportées par les vagues qui ont ensuite ravagé leur rez-de-chaussée. Certaines des personnes décédées lors du passage du cyclone étaient sur des bateaux, tandis que d'autres se sont noyées alors qu'elles étaient sur la terre ferme. Ce fut aussi le cas lors du passage de Belal à La Réunion et lors des épisodes de pluies intenses en Polynésie ces dernières semaines. Si Irma était resté quelques minutes de plus à Saint-Martin, si l'œil du cyclone était passé à quelques kilomètres de l'île, si les gens n'avaient pas pu se loger ailleurs, le bilan humain aurait été tout autre. Ne garder en mémoire que la dangerosité des vents dans un cyclone est un piège, même s'ils sont à l'origine de la majorité des destructions et du coût considérable de la catastrophe. La prévention des risques doit insister sur le danger que représentent la submersion marine et les inondations autour des cours d'eau.
Ma collègue Annabelle Moatti l'a évoqué : la période post-catastrophe est presque ignorée dans les messages de prévention. Elle n'est évoquée que dans les consignes relatives aux quelques heures suivant le passage d'un cyclone ou le déclenchement d'un séisme, mais rien n'est dit sur les jours, les semaines et les mois qui suivent. Une meilleure information des populations, en particulier de celles qui ne sont pas originaires des territoires, est un enjeu essentiel. Il faut porter une attention particulière à ceux qui y restent peu de temps : aux fonctionnaires, du fait de leurs rotations, mais aussi aux travailleurs, parfois saisonniers. La loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (loi 3DS) prévoit désormais, pour l'ensemble des salariés d'outre-mer, un volet sur les risques majeurs dans la formation obligatoire aux risques professionnels. Cette formation doit être garantie à l'ensemble des personnels, en particulier aux enseignants et aux personnels de santé. Elle insiste sur le fonctionnement de l'alerte, lorsqu'elle est possible, sur la préparation et sur les comportements à adopter, mais aussi sur les interventions successives des différents acteurs après un événement majeur : services d'identification des victimes, ONG, forces de l'ordre ou experts. Cette formation ne peut que réduire la diffusion de rumeurs et améliorer l'anticipation par les individus, les entreprises et les institutions. Elle favorise une reprise plus rapide des activités éducatives, administratives, économiques et culturelles.
Parmi les personnes qui échappent à la politique actuelle de prévention des risques, on trouve aussi les voyageurs et les touristes. Dans la salle des arrivées de chaque aéroport en outre-mer sont affichés des messages de prévention relatifs à la dengue, au virus Zika et au chikungunya, mais aucune information ne prévient le voyageur qu'il arrive dans une zone sismique ou à risque de tsunami.
Vous nous avez interrogées, enfin, sur les dispositifs d'alerte et d'évacuation de la population. Ce sujet a déjà été abordé par Matthieu Péroche, avec lequel nous collaborons. Tous les aléas ne peuvent pas donner lieu à une alerte, en particulier les séismes. Il n'empêche que, dans le cas où survient un événement majeur, il est indispensable de prévoir la diffusion d'informations et de points de situation réguliers. Le système FR-Alert est en cours de déploiement dans tous les outre-mer ; il a déjà été utilisé en situation réelle à La Réunion plusieurs fois. Il constitue une réelle avancée mais il doit compléter les autres médias de diffusion, et non s'y substituer.
La prise en compte des spécificités linguistiques des différents territoires est essentielle, et les messages doivent être préparés et validés par des locuteurs. Pour qu'une évacuation soit facilitée, il faut qu'elle ait été pensée et testée avec les populations concernées. Les travaux que nous avons menés en Guadeloupe ont démontré qu'il est nécessaire d'inciter les habitants, le cas échéant – à l'occasion d'une crise volcanique, par exemple – à anticiper une évacuation de plusieurs semaines, et qu'il est difficile de leur imposer des zones d'accueil sans prendre en compte leurs préférences. Ceci a été confirmé par Olivier Gillet dans un article publié en 2023. Une telle anticipation permet de favoriser le maintien dans les territoires de personnels qui seront essentiels à la reprise d'activité.
Il me paraît important d'indiquer, en amont des crises, quelles catégories de population seront évacuées ou déplacées en priorité, et pourquoi. Tout le monde pense aux personnes malades ou en situation de handicap, aux pensionnaires des Ehpad et aux femmes enceintes. Je ne crois pas en revanche que le grand public soit informé de l'évacuation des prisonniers et des familles des forces de l'ordre.
Par ailleurs, les solutions d'hébergement pour quelques heures, pendant le passage d'un cyclone par exemple, doivent être acceptées par les personnes concernées. Cela implique que celles-ci aient confiance en l'organisation mise en place par les autorités et en la solidité des bâtiments. Un recensement des personnes vulnérables et des visites des abris sont essentiels en amont. Pour les évacuations qui doivent être rapides et reposer le plus possible sur l'auto-organisation – face à un tsunami, par exemple –, le fléchage vers des zones refuges est indispensable, tout comme le sont les exercices réguliers associant les populations locales. À ce jour, une seule commune d'outre-mer s'est vue décerner le label Tsunami ready.
Je pourrais évoquer aussi l'éducation aux risques dans le contexte scolaire, mais je pense que ce sujet sera abordé lors des questions.