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Intervention de Alexandra Bensamoun

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Alexandra Bensamoun, professeure de droit privé à l'université Paris-Saclay :

La distinction entre amont et aval est déjà apparue dans mon rapport co-écrit avec Joëlle Farchy pour le ministère de la culture sur l'intelligence artificielle et la culture. À l'époque, le sujet s'apparentait encore à de la science-fiction mais nous pressentions que le développement de l'intelligence artificielle aurait des conséquences pour le secteur. Vous avez compris qu'en amont, l'enjeu essentiel est la rémunération des titulaires de droits pour l'utilisation de leurs contenus. Au vu de la fragilité économique du secteur de la presse, il est essentiel de préserver cette chaîne de valeur et donc de permettre que l'utilisation des contenus par l'intelligence artificielle donne lieu à rémunération.

Dans notre rapport de la commission sur l'intelligence artificielle, nous préconisons la création d'une infrastructure technique qui permettrait de mettre en œuvre cette rémunération. Nous espérons que cette initiative soit financée par l'État. L'idée serait de créer une plateforme d'intermédiation où dans un premier temps, pour inspirer la confiance, les données seraient libres de droits. Ce seraient donc des données patrimoniales et non des données soumises à un dépôt légal, des données pour lesquelles les droits d'auteur et les droits voisins éventuels sont échus. Si les titulaires de droits font confiance à cette infrastructure, sous l'égide du ministère de la culture, il sera alors possible d'envisager que des auteurs y déversent des contenus protégés, puissent exercer leur droit d'opposition et délivrer des licences d'utilisation contre rémunération. Ces licences pourraient éventuellement englober des catalogues de contenus. Nous avons recommandé une mise en place très rapide, dans un délai d'un an, ce qui est bien entendu très ambitieux mais nous avons le droit d'espérer. Si une telle plateforme est créée, alors peut-être pourra-t-elle servir à la négociation pour les partenaires privés.

Dans le rapport de 2019, j'avais imaginé quelques pistes concernant l'aval. Nous en étions à un stade prospectif de la réflexion. Il me semble essentiel de ne pas disqualifier les créateurs, c'est-à-dire de leur permettre d'utiliser l'intelligence artificielle. Il n'y a aucune raison que l'intelligence artificielle soit démocratisée mais que les créateurs qui l'utiliseraient perdent la protection de leurs œuvres. Le produit de la création assistée par l'intelligence artificielle mais avec une intervention humaine doit pouvoir conserver son statut d'œuvre. La question mérite d'être posée en revanche pour les productions entièrement générées par l'intelligence artificielle, c'est-à-dire sans intervention originale de la part d'une personne physique. Ces créations ne peuvent pas être protégées par le droit d'auteur. Celui-ci implique une certaine créativité et l'intervention d'une personne physique. Ces conditions ne sont pas réunies. Certains secteurs souhaitent néanmoins qu'une forme de droit soit reconnue pour la création de tels contenus, et notamment le secteur technologique. Celui-ci utilise en effet l'intelligence artificielle pour coder, et il risquerait d'être fragilisé. Si ces productions étaient considérées comme publiques, alors elles ne bénéficieraient d'aucune forme de protection. On considérerait alors que la propriété intellectuelle ne s'appliquerait qu'aux créations humaines. L'idée d'un domaine public payant a été avancée. Le premier à imaginer ce concept a été Victor Hugo. La mise en œuvre d'un tel modèle est potentiellement difficile. Des outils pourraient pallier l'absence de réserves possibles dans l'application, comme l'utilisation du droit de la concurrence au sens large : les agissements parasitaires, la concurrence déloyale, etc. Toutes ces pistes de réflexion devront être explorées à moyen terme, l'urgence étant surtout d'assurer la survie d'un secteur et de garantir la rémunération des détenteurs de droits.

Quoi qu'il en soit, il sera impossible de mettre en place un régime spécifique à la France. Les discussions auront sans doute lieu au niveau européen. Cela n'empêchera pas des initiatives françaises d'être intégrées comme nous l'avons vu avec l'article 17 de la directive et avec des mesures relatives aux éditeurs de presse. Forts de l'avancée de notre réflexion, nous pourrons sans doute être source de propositions au niveau européen.

L'influence des réseaux sociaux sur la qualité de l'information est incontestable. En réalité, l'information est devenue « obèse », et se pose une problématique de hiérarchisation. Les jeunes ne comprennent pas toujours l'intérêt d'une information vérifiée. Je pense que nous ne pourrons pas échapper à une labellisation, distinguant la véritable information, celle dont l'origine est respectueuse de la charte de l'information et des principes de vérification, d'indépendance, etc. Je crains donc que nous devions expressément indiquer ce qui doit être considéré comme de l'information par opposition aux autres contenus.

Dans le rapport de la commission, nous considérons que le Digital Market Act doit être complété, en particulier parce que tous les acteurs du numérique investissent dans l'intelligence artificielle. Le DMA ne prend pas en compte la chaîne de valeur de l'intelligence artificielle. Nous n'avons pas affaire à des plateformes en tant que telles. Je crois beaucoup à l'influence du droit de la concurrence et à l'assainissement du marché par son application. Cette mise en œuvre a été peut-être trop timide à l'échelle européenne. Ne nous privons pas d'utiliser et le cas échéant de compléter les outils à notre disposition. Il en va de notre démocratie et de notre économie face à des acteurs en position dominante.

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