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Intervention de Camille Broyelle

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Camille Broyelle, professeure de droit public à l'université Paris-Panthéon-Assas :

Une question a été posée sur la visibilité des médias audiovisuels classiques dans l'espace numérique à travers des boxes internet et des agrégateurs de contenus. L'article 20-7 de la loi de 1986, qui lui-même découle de la directive relative aux médias audiovisuels, permet aux États de prendre des mesures pour mettre en avant les médias audiovisuels sur ces interfaces. Elle fait référence aux médias audiovisuels qui représentent des services d'intérêt général. L'Arcom a adopté récemment une délibération dans laquelle elle considère que toutes les chaînes de la TNT constituent des services d'intérêt général, de sorte qu'elles devront être mises en valeur de manière spécifique sur les interfaces numériques.

Le Media Freedom Act, un règlement européen en cours d'adoption, prévoit des mesures spécifiques pour protéger les médias contre des mesures de suppression ou de restriction de la part des plateformes. Il est cependant peu ambitieux sur ce point car il se contente d'imposer aux plateformes de motiver la décision de restriction de la visibilité des médias avant de prendre une telle décision. Il ne s'agit donc aucunement d'une interdiction de restriction.

C'est surtout le Digital Services Act (DSA) qui contient des outils, et sa mise en œuvre dépendra de la politique décidée par la Commission européenne. Parmi les risques systémiques que les plateformes doivent analyser, il en est un relatif au pluralisme des médias. Les plateformes sont censées prendre des mesures pour atténuer – selon l'expression consacrée – les risques identifiés, c'est-à-dire remédier à ces risques. Si le remède proposé est insuffisant, la Commission européenne est susceptible d'intervenir. Ses premières actions montrent qu'elle est investie d'un esprit assez volontariste. On peut dès lors imaginer qu'elle impose aux plateformes de modifier leurs algorithmes pour assurer une meilleure visibilité aux médias.

Pour ce qui concerne la concentration des médias, je pense que les règles qui découlent de deux lois de 1986 (respectivement pour les médias audiovisuels et pour la presse) sont devenues obsolètes.

Le Media Freedom Act prévoit de mesurer les effets de la concentration sur le pluralisme. Les règles relatives à la concentration des médias ont donc vocation à évoluer. Cela étant, l'impossibilité pour un acteur de monopoliser le marché n'apporte pas la garantie que les acteurs aient une expression diversifiée. Les règles anti-concentration sont donc nécessaires mais non suffisantes pour assurer le pluralisme.

S'agissant de l'agrément, la difficulté se constate à travers la combinaison de la liberté d'entreprendre et la non-ingérence de l'actionnaire dans les décisions éditoriales. La création d'un média d'opinion repose sur l'initiative d'un entrepreneur. Il peut donc difficilement lui être reproché d'influer dans la décision de nomination du directeur de rédaction. Une question qui mérite d'être posée est la suivante : une fois ce média installé, les journalistes qui composent la rédaction peuvent-ils être investis d'un droit d'opposition à la nomination d'un nouveau directeur de la rédaction ? La question en filigrane est : la ligne éditoriale d'un média peut-elle évoluer ?

J'attire votre attention sur l'article 6 du Media Freedom Act qui, tout en préservant la liberté d'entreprendre de l'actionnaire, prévoit une distanciation de l'actionnaire vis-à-vis de toutes les décisions éditoriales individuelles. Il peut donc édicter une ligne éditoriale générale mais il ne peut pas intervenir dans les décisions quotidiennes de la rédaction. Cette règle semble essentielle pour l'indépendance de l'information.

Vous avez demandé comment l'effectivité du pluralisme pouvait être garantie. La décision du Conseil d'État qui concerne l'Arcom, Reporters sans frontières et CNews indirectement souffre d'une lacune : elle impose la mise en œuvre du pluralisme interne sans fournir de grille de lecture. D'aucuns considèrent que cette décision entraîne une obligation de fichage de toutes les personnalités exprimant des idées politiques. Cette interprétation me semble inexacte. L'Arcom avait déjà élargi la notion de personnalité politique en y englobant des personnes non affiliées à des partis politiques. C'est ainsi qu'Éric Zemmour avait été considéré comme une personnalité politique par l'Arcom. Le Conseil d'État aurait très bien pu demander que la qualification de personnalité politique englobe toute personne exprimant des idées politiques à l'antenne. Ce n'est pas ce qu'il a fait. Il est vrai que le texte de la décision est ambigu à ce propos. La décision du Conseil d'État n'étend donc pas l'obligation de fichage à toutes les personnes s'exprimant sur les plateaux. Il revient alors à l'Arcom de créer un outil qui permette de caractériser le non-respect du pluralisme interne par un média donné. Contrairement à ce que certains prétendent, l'élaboration de ce genre d'outils est tout à fait possible. De toute manière, c'est une nécessité, et c'est pourquoi je juge l'argument de la difficulté assez faible. L'alternative serait de renoncer au pluralisme, ce qui n'est pas envisageable car il s'agit là d'une exigence constitutionnelle.

Imaginons une chaîne de télévision qui n'organiserait pas de débats en plateau mais qui diffuserait simplement des programmes de fiction. Imaginons que tous ces programmes aient une vocation propagandiste. Devrait-on se contenter de l'argument selon lequel aucun temps de parole ne peut être mesuré, et que faute d'outil, il serait impossible de rappeler à cette chaîne son obligation au pluralisme interne ? Absolument pas ! Identifier des courants de pensée dans des contenus audiovisuels, c'est le travail quotidien des juges pénaux à travers la loi sur la presse. Il leur est demandé d'apprécier si par exemple une affiche véhicule un message antisémite et ils n'ont pas besoin d'éléments chiffrés pour cela. Des centres de recherches, notamment au sein du CNRS, mesurent l'activité des mouvements politiques sur internet. Ils ont développé des indicateurs qualitatifs qui leur permettent de catégoriser des contenus suivant la nature des thèmes abordés, la manière dont ils sont présentés, l'iconographie, l'effet recherché sur le public (rejet ou adhésion), etc. Les sciences sociales se sont approprié ce genre d'outils et l'Arcom doit faire de même. C'est d'ailleurs son intention : plutôt que de ficher tous les intervenants sur les plateaux de télévision, elle souhaite créer un outil qualitatif.

La question de la mesure du pluralisme m'apparaît donc comme essentielle et nous ne devons pas nous arrêter à un discours général sur l'impossibilité de ficher tous les intervenants.

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