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Intervention de Camille Broyelle

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Camille Broyelle, professeure de droit public à l'université Paris-Panthéon-Assas :

Merci de votre invitation. Vous souhaitiez que j'évoque la décision rendue par le Conseil d'État au sujet du litige qui opposait Reporters sans frontières à l'Arcom à propos de CNews. Le litige portait sur l'interprétation de l'obligation de pluralisme interne qui découle de l'article 13 de la loi de 1986. Reporters sans frontières critiquait le fait que l'Arcom basait son appréciation du respect de cette obligation simplement sur le décompte des temps de parole des personnalités politiques invitées à intervenir sur CNews. En l'occurrence, l'Arcom considérait que le temps de parole était équitablement réparti sur cette chaîne, et dès lors, que le pluralisme interne était respecté. Le Conseil d'État a remis en cause cette interprétation dans la mesure où les discours politiques ne sont pas réservés aux personnalités politiques. Des invités, des chroniqueurs ou des journalistes peuvent aussi exprimer des opinions politiques. Le Conseil d'État considère donc que l'Arcom doit compléter son approche par une analyse de l'ensemble des programmes. Cette décision a été fortement critiquée – à tort selon moi. Je vous invite à vous emparer du sujet dans la mesure où la décision du Conseil d'État met en lumière les points forts et les points faibles de la loi de 1986.

Le Conseil d'État reconnaît tout d'abord que le pluralisme interne est le seul moyen de s'assurer du pluralisme sur les chaînes de la TNT. L'objectif recherché est que le public ait accès à une diversité de titres de presse et de chaînes de radio et de télévision. Le pluralisme peut être mis en œuvre de deux manières différentes : on parle de pluralisme externe lorsqu'il est fait en sorte que les acteurs soient nombreux, et de pluralisme interne lorsque chacun des acteurs se voit imposer de relayer des opinions diverses. Le pluralisme externe domine dans la presse et il est d'ailleurs soutenu par l'État. La loi « Bichet » sur la distribution de la presse favorise l'émergence de titres de presse exprimant des courants de pensée différents. En matière audiovisuelle, compte tenu de la rareté des fréquences hertziennes disponibles, le pluralisme interne a été choisi. Faute de pouvoir disposer d'un nombre suffisant d'éditeurs, le pluralisme est assuré au sein de chaque éditeur. Bien évidemment, l'environnement technique audiovisuel a considérablement changé puisque, depuis le passage de l'analogique au numérique, les fréquences de TNT sont devenues moins rares. Sur une trentaine de chaînes, le pluralisme externe pourrait devenir envisageable. En outre, les éditeurs ont désormais la capacité de distribuer leurs programmes sur internet.

Je pense que le pluralisme interne reste le seul modèle pertinent sur les chaînes de la TNT mais qu'en dehors de la TNT, il n'est pas recommandé. L'argument selon lequel le pluralisme externe pourrait être assuré avec une trentaine de chaînes se heurte à des considérations économiques : l'accès à la TNT est réservé à des éditeurs possédant une surface financière importante, ce qui peut favoriser la concentration des acteurs. Et étant donné que l'on ne peut guère empêcher qu'un groupe monopolise plusieurs chaînes de télévision, le pluralisme interne me semble assez incontournable sur la TNT. D'aucuns considèrent que la TNT n'est plus l'assiette pertinente pour mesurer le pluralisme dans la mesure où il est possible de diffuser des contenus sur internet. Certes mais la TNT détient encore la majorité de l'audience. Ceux d'ailleurs qui avancent cet argument se gardent bien de voir ce qu'il en est sur internet. Les éditeurs, et notamment ceux du groupe Bolloré, privilégient la TNT dans la mesure où elle détient la plus large part d'audience. Je pense donc que le pluralisme interne doit demeurer sur les chaînes de la TNT.

Je pense cependant que vous devriez réexaminer la question du pluralisme interne pour les chaînes de radio. Le droit positif tempère cette exigence dans la mesure où le Conseil d'État a considéré que les chaînes de radio hertzienne pouvaient être des radios d'opinion et que le pluralisme interne ne pouvait pas leur être imposé. La question du pluralisme interne me semble encore moins fondée pour les émissions diffusées sur internet. Je considère qu'elle n'est plus justifiée du tout, ce qui ne signifie pas pour autant que vous deviez accepter que des chaînes de télévision distribuées sur internet puissent véhiculer des idées fausses. Cela contrevient en effet à un autre principe légal qui joue le rôle de corde de rappel : le principe d'honnêteté et d'indépendance de l'information, qui contient des exigences de pluralisme. Quand bien même on considérerait qu'une chaîne d'opinion distribuée sur internet serait affranchie de l'obligation de pluralisme interne, l'exigence d'honnêteté et d'indépendance de l'information n'en demeure pas moins applicable, ce qui revient à imposer à cette chaîne d'opinion de respecter la pluralité des points de vue sur des questions prêtant à controverse. La véritable question est celle-ci : un éditeur peut-il être autorisé à exprimer un discours démagogique et à manipuler l'opinion ?

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