Intervention de Tristan Azzi

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Tristan Azzi, professeur à l'École de droit de la Sorbonne, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne :

Je vous remercie de m'avoir convié à cette audition pour pouvoir discuter avec vous de ces questions passionnantes dans le cadre des États généraux de l'information. Je devrai malheureusement vous quitter à dix heures et demie car j'ai un cours magistral à assurer. Le sujet est très vaste. En tant que spécialiste du droit de la propriété intellectuelle, je réduirai le périmètre de mon intervention à ce domaine et notamment aux droits d'auteur et aux droits voisins.

Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'insister sur le profond bouleversement qu'a représenté Internet pour le secteur des médias et pour la propriété littéraire et artistique (droits d'auteur et droits voisins). Il me semble également inutile d'expliquer en quoi l'internet de première génération des années 1990 est aujourd'hui obsolète, les technologies numériques actuelles étant très différentes de celles de l'époque. Les progrès techniques constants ont considérablement amplifié les capacités de communication et de reproduction des contenus protégés par les droits d'auteur et les droits voisins. Parallèlement, l'accès des particuliers à internet et aux technologies numériques s'est considérablement démocratisé. Enfin, de nouveaux prestataires de services ont émergé, qui jouent le rôle d'intermédiaires dans la diffusion des œuvres et contenus protégés par les droits voisins, et qui engrangent d'importants revenus avec ces activités en ne les partageant guère avec les principaux producteurs de contenus (les auteurs et les titulaires de droits voisins). Se pose alors la question du partage de la valeur, qui semble mieux assurée depuis notamment une directive de 2019, même s'il n'est pas certain qu'elle donne entièrement satisfaction à l'heure de sa mise en application.

J'ai sélectionné certaines questions sur le thème de la propriété intellectuelle. J'aimerais tout d'abord évoquer l'intelligence artificielle, qui pose des difficultés aussi bien en aval qu'en amont comme ma collègue Alexandra Bensamoun vous l'expliquera certainement.

Le deuxième sujet est lié à l'article 17 de la directive sur les droits d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information, qui vise précisément à permettre un meilleur partage de la valeur entre les plateformes de partage et les différents titulaires de droits. Cette directive a été transposée dans le droit français en 2021 et sa mise en application a débuté. Nous devons nous assurer qu'elle donne satisfaction.

Le troisième sujet important à mes yeux est le nouveau droit voisin qui a été consacré au bénéfice des éditeurs de publications de presse. J'ai d'ailleurs fait partie de ses détracteurs mais à présent qu'il a été institué, il n'est plus question de le remettre en cause. Je constate cependant que sa mise en œuvre est complexe. Deux difficultés se posent : d'une part, beaucoup de grandes plateformes ne se prêtent que très difficilement au jeu du droit voisin, ce qui est source de contentieux, et d'autre part ce droit voisin génère des rémunérations au bénéfice des éditeurs de presse mais une part appropriée et équitable doit être rétrocédée aux auteurs de presse (journalistes, photographes, etc.). Des négociations sont en cours et il a fallu saisir la commission sur les droits d'auteur et les droits voisins car les éditeurs et les auteurs ne parvenaient pas un consensus. À mes yeux, les auteurs doivent avoir droit à une part conséquente en tant que fournisseurs de contenus en amont de l'éditeur de presse.

Même si ce sujet n'entre pas strictement dans le champ de cette réunion, il me semble important de mentionner un droit voisin qui existe depuis 1985 et qui concerne les entreprises de communication audiovisuelles, autrement dit les chaînes de radio et de télévision. Ce droit voisin était dormant et avait suscité très peu de contentieux depuis 1985 mais il semble connaître un réveil assez rapide, comme le montre notamment la décision de la Cour de justice de l'Union européenne d'imposer que les entreprises de communication audiovisuelle bénéficient de la rémunération pour copie privée. Celle-ci génère environ 300 millions d'euros par an, ce qui est considérable à l'échelle des industries culturelles et, en l'occurrence, des chaînes de radio et de télévision. Or la législation française ne prévoit pas de tel dispositif. Il faudra donc réfléchir à une modification de la législation française sauf à considérer que le préjudice est minime comme le dit la Cour de justice mais je ne suis pas certain que ce soit le cas. Cette réflexion en appellera une autre sur l'identification des titulaires de ce droit. Cet exercice était relativement trivial en 1985 car la définition d'une chaîne de radio ou de télévision était plutôt claire mais le paysage actuel est plus complexe et la définition légale d'une entreprise de communication audiovisuelle, qui figure dans la loi de 1986 sur la liberté de communication, est désormais inadaptée ; cette loi a subi de nombreuses modifications, impliquant par conséquent des changements d'interprétation sur la nature des titulaires de droits voisins. Je ne suis d'ailleurs plus certain de savoir définir au sens légal une entreprise de communication audiovisuelle. Les chaînes classiques entrent certes dans ce champ mais la question est plus ardue en ce qui concerne certains acteurs digitaux. Cette question devra être tranchée s'il s'agit de les rémunérer au titre de la copie privée.

Le dernier sujet sur lequel j'aimerais insister est la situation des auteurs d'images fixes, plus précisément de photographies et notamment de photographies de presse. Cette profession est en danger du fait de la propriété intellectuelle. J'ai été conduit à rédiger un rapport pour le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique – qui dépend du ministère de la Culture – sur les métadonnées. Sommairement, les métadonnées sont des informations textuelles intégrées à des photographies numériques. Y sont indiqués le nom de l'auteur, la date de la photographie, le titulaire des droits, les restrictions d'utilisation, etc. Or ces métadonnées sont très souvent « écrasées », selon l'expression consacrée, lorsque les photographies sont diffusées sur internet. Divers opérateurs tels que les exploitants de réseaux sociaux mais aussi certains éditeurs de presse effacent ces données. Les grands médias de presse comme Le Figaro ou Le Monde sont très respectueux des métadonnées mais ce n'est pas le cas de certains éditeurs plus petits.

L'effacement de ces métadonnées pose diverses problématiques d'exploitation des droits et de lutte contre la désinformation. Dans le rapport auquel j'ai fait référence, nous avons proposé un certain nombre de solutions que je partagerai avec vous.

Je m'en tiendrai là pour l'instant, mais j'aurai certainement l'occasion d'aborder d'autres sujets lors des questions-réponses.

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