Je remercie le groupe La France insoumise – NUPES d'avoir inscrit à l'ordre du jour ce débat essentiel et crucial portant sur l'aide sociale à l'enfance.
Entre 2011 et 2022, le nombre de mesures d'accueil a augmenté de plus de 30 %, passant de 136 200 à 172 060 enfants accueillis.
La protection de l'enfance traverse une crise aiguë ; c'est ce qui nous réunit aujourd'hui. Il s'agit tout d'abord d'une crise de l'attractivité des métiers de la protection de l'enfance. Cela a été dit : les tensions, déjà fortes, seront accentuées par le départ à la retraite de plus de 50 % des assistants familiaux d'ici à 2033.
C'est aussi une crise de la prise en charge des enfants par l'ASE, en raison de délais trop importants d'exécution des mesures de protection ; une crise de l'accompagnement des enfants à la sortie de l'ASE, puisqu'ils n'ont pas suffisamment accès aux dispositifs de droit commun ; une crise de l'accueil des mineurs non accompagnés, qui ne sont pas mis à l'abri dans certains territoires.
Notre responsabilité collective consiste à apporter des réponses à court et à moyen terme à cette crise sans précédent. Je remercie l'ensemble des groupes politiques, en particulier le groupe Socialistes et apparentés, pour la création de la commission d'enquête sur ces dysfonctionnements, qui permettra de compléter le diagnostic et de dégager de nouvelles voies pour remédier aux défaillances du système actuel.
Afin de repartir des constats, nous devons répondre à la question suivante : qu'est-ce que la protection de l'enfance aujourd'hui ? Au cours des vingt dernières années, trois lois ont structuré cette politique publique et donné un cadre législatif permettant l'amélioration de la prise en charge de chaque enfant. Ces lois se sont adaptées aux évolutions sociétales, mais aussi aux vies de ces enfants et des familles en difficulté.
La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance a fait du département le chef de file de la protection de l'enfance. Elle a édicté le principe de la priorité de la compétence administrative des départements en la matière et celui de la subsidiarité de l'intervention judiciaire. Elle a affirmé la place centrale de l'enfant et à ce titre, a créé le projet pour l'enfant, destiné à élaborer les interventions assurant ses besoins fondamentaux.
La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant a placé celui-ci au cœur des interventions de la protection de l'enfance et a renforcé la gouvernance. Elle a créé une instance de coordination nationale de la protection de l'enfance, le CNPE, que le Gouvernement peut consulter pour toute question relative à la protection de l'enfant. Elle a également créé les commissions d'examen de la situation et du statut des enfants confiés à l'ASE (Cessec), afin de proposer un statut juridique aux enfants pour lesquels un retour dans leur famille ne paraît pas envisageable. L'objectif consiste à s'adapter au mieux à la situation de l'enfant et à lui proposer le statut le plus protecteur.
La loi du 7 février 2022 complète le dispositif de la protection de l'enfance. Elle contient des dispositions qui visent à améliorer les parcours, en particulier avant le placement, en cherchant systématiquement s'il est possible de confier les enfants à un membre de leur famille ou à un tiers digne de confiance. Elle améliore également la qualité de l'accueil, en interdisant les placements à l'hôtel des mineurs et des jeunes majeurs confiés à l'ASE, et en proposant systématiquement aux enfants un parrain ou une marraine ainsi qu'un mentor. Elle favorise l'autonomie, qui est bien notre objectif commun, en rendant obligatoire l'accompagnement des jeunes majeurs jusqu'à 21 ans, étant entendu que ceux-ci peuvent user d'un droit au retour à l'ASE.
Pour répondre aux enjeux d'attractivité, la loi du 7 février 2022 valorise le métier des assistants familiaux en assurant une rémunération minimale équivalente à un Smic pour les familles d'accueil, dès le premier enfant.
Enfin, elle améliore le pilotage de la politique de protection de l'enfance au niveau national, en créant le groupement d'intérêt public (GIP) France enfance protégée, et, au niveau territorial, en instaurant l'expérimentation des comités départementaux de protection de l'enfance.
L'adoption de ces trois lois a permis d'établir une politique plus cohérente et protectrice – tel est bien notre objectif – centrée sur l'intérêt de l'enfant.
La pleine application de ces lois est un préalable fondamental à la réussite collective de la politique de protection de l'enfance ; les gouvernements successifs en ont assuré un suivi attentif.
S'agissant de la loi du 14 mars 2016, des questionnaires ont été adressés aux départements dès 2017. Les réponses ont permis de nourrir la concertation nationale sur la protection de l'enfance. Les dispositions prévues par la loi n'étant pas parfaitement appliquées – il faut le reconnaître –, un nouvel état des lieux a été réalisé en 2020. Il en ressort par exemple que sur les soixante-quinze départements qui ont répondu, seuls dix-sept avaient instauré le projet pour l'enfant.
S'agissant de la loi du 7 février 2022, la majorité des décrets d'application sont parus. Quatre l'ont été depuis ma prise de fonctions, et trois restent à prendre : ils concernent les agréments des assistants familiaux et maternels, les agréments en vue de l'adoption et les objectifs nationaux visant à garantir des normes minimales d'effectifs pour les services de la protection maternelle et infantile (PMI). Ces délais s'expliquent par les concertations nécessaires ; néanmoins je ne me résous pas à ces retards.
Parmi les décrets restant à paraître, je m'engage à publier et à présenter au CNPE dès la semaine prochaine celui qui concerne les agréments des assistants familiaux. Il est essentiel, car il permettra d'éviter que des assistants familiaux soient agréés dans un département alors qu'ils ont vu leur agrément supprimé dans un autre département, pour maltraitance par exemple. Ce sujet a été évoqué cet après-midi par les personnes que vous avez auditionnées. Si les départements sont responsables de l'application des lois sur leur territoire, je suis responsable de la publication de ces décrets.
En cas de défaillance des départements dans l'accomplissement de leurs obligations, le préfet de département a des moyens d'agir. Ainsi, il peut contrôler, seul ou avec le président du conseil départemental, les établissements de protection de l'enfance. Il doit également être informé sans délai par le président du conseil départemental de tout événement survenu de nature à compromettre la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies. Enfin – c'est l'essentiel –, en cas de carence, le préfet de département peut agir et, après mise en demeure restée sans réponse ou sans résultat, prendre en lieu et place du président du conseil départemental les décisions de suspension ou de cessation de tout ou partie des activités d'un établissement ou d'un lieu de vie.
Concernant les MNA, le préfet peut former devant le conseil départemental un recours administratif contre une délibération mettant fin à l'accueil provisoire d'urgence des MNA ou ne prenant pas en charge des MNA nouvellement confiés à l'ASE. Le tribunal administratif de Bordeaux a récemment enjoint au conseil départemental de la Gironde de respecter ses obligations en la matière. L'État aide enfin les départements à accomplir leurs missions de protection de l'enfance en leur allouant des financements spécifiques.
Il est légitime de débattre de ces financements, qui passent par de nombreux canaux. Afin de renforcer la vision transversale de l'action publique à destination de l'enfance, le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 a été, pour la première fois, accompagné d'un jaune budgétaire dédié à la politique de l'enfance.
Au total, 155 milliards d'euros sont dépensés annuellement en faveur de l'enfance, et 17 % de cette enveloppe sont consacrés aux mineurs vulnérables – l'État y contribue à hauteur de 10 milliards, la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) à hauteur de 7 milliards et les collectivités locales à hauteur de 8,8 milliards.
Pour autant, ce n'est pas suffisant : des dysfonctionnements persistent, la loi est inappliquée dans certains territoires et des défaillances sont constatées. Nous sommes donc réunis pour agir.
La méthode est la suivante. D'abord, nous assurerons la pleine application des lois en matière de protection de l'enfance. Pour cela, je veux que les décrets soient publiés le plus rapidement possible, afin de remédier au retard actuel.
L'accompagnement obligatoire des jeunes majeurs par les départements doit être effectif. Or des sorties sèches de l'ASE se produisent encore, bien qu'elles soient interdites. Un groupe de travail réunissant l'État et les départements se consacre à cette question. Comme je l'ai dit, il convient également d'expertiser la question du pécule consigné à la Caisse des dépôts. En effet, certains jeunes ne réclament pas ce pécule à leur majorité par manque d'information. Nous devons également informer les mineurs de ce dispositif.
Nous sécuriserons l'accueil des enfants confiés grâce à l'adoption du décret sur les taux et normes d'encadrement des établissements et services. L'État doit contrôler que les départements respectent l'interdiction d'accueillir des enfants à l'hôtel, et la mise à l'abri des MNA doit être effective.
Fin 2022, la part des jeunes confiés accueillis en établissements est devenue, pour la première fois, la modalité d'accueil la plus fréquente. Il est nécessaire de rendre effective la priorité accordée au placement auprès d'un membre de la famille ou d'un tiers de digne de confiance, qui peut contribuer à un meilleur lien d'attachement.
Ensuite, il faut redonner des marges et de l'efficacité au dispositif de protection de l'enfance, qui s'est complexifié et appelle des réponses plurielles. En effet, nous parlons d'enfants vulnérables, qui ont besoin de nous. L'État prendra toute sa part dans ce dispositif et assumera ses responsabilités.
Je souhaite poursuivre le dialogue avec l'ensemble des parties prenantes : les enfants, d'abord, les départements, les associations et les parlementaires. J'ai ainsi relancé le dialogue avec les départements en instaurant sept groupes de travail sur des thèmes précis, concrets, auxquels les acteurs du monde judiciaire seront associés, car plus de 80 % des mesures de protection de l'enfance sont judiciaires. C'est grâce à la coconstruction avec tous les acteurs de la protection de l'enfance que nous trouverons des réponses à la crise que nous vivons.
Le GIP France enfance protégée améliorera le pilotage d'ensemble de la politique de protection de l'enfance pour la renforcer.
Nous devons appliquer les annonces faites lors du dernier conseil interministériel de l'enfance concernant la généralisation des parcours de soins coordonnés, qui s'appuiera sur les enseignements de l'expérimentation Santé protégée et du programme d'expérimentation d'un protocole de santé standardisé appliqué aux enfants ayant bénéficié avant l'âge de 5 ans d'une mesure de protection de l'enfance, dit Pegase. Nous voulons également renforcer la réussite éducative des enfants placés.
Comme cela a été dit, il importe de renforcer l'attractivité des métiers et de fidéliser les acteurs de la protection de l'enfance. En effet, les efforts pour améliorer la qualité de prise en charge des enfants risquent d'être vains sans une action volontariste pour lutter contre la pénurie de professionnels et améliorer les conditions de travail. Dès ma prise de fonctions, j'ai rencontré Mathieu Klein pour évoquer les recommandations du Livre blanc du travail social.
Mon ambition est simple : je veux être aux côtés des enfants et de l'ensemble des acteurs pour construire rapidement des réponses. C'est urgent, car le problème de l'attractivité est pluriel et concerne aussi bien les assistants familiaux que les travailleurs sociaux ou les éducateurs en prévention.
Je réfléchis à la création d'un comité de filière de la protection de l'enfance et de l'accompagnement de la parentalité, en m'appuyant sur les résultats positifs du comité de filière de la petite enfance, qui a lui-même inspiré le comité de filière de l'animation que j'ai instauré dans mes précédentes fonctions.
Par ailleurs, il est nécessaire d'améliorer la participation des parents d'enfants confiés, car ils sont partie prenante du projet pour l'enfant et de l'accompagnement en protection de l'enfance. Il faudra développer une culture de la prévention pour agir mieux et plus vite, en renforçant le soutien à la parentalité à tous les âges de l'enfant.
Protéger les enfants est l'affaire de tous et la responsabilité de tous les adultes. Je ne prétends pas détenir l'ensemble des solutions, mais je suis convaincue que nous devons trouver ensemble les réponses à l'importante crise que connaît la protection de l'enfance. Nous avons le devoir de dresser le bilan de ce qui a été accompli, d'accélérer l'application de certaines politiques publiques et d'améliorer la réponse apportée à chaque enfant. Sans naïveté, nous devons prendre pleinement en considération les drames vécus par les enfants.
De nombreuses réponses peuvent être tirées des travaux conduits par les parlementaires dans le cadre de la délégation aux droits des enfants – dont la présidente est parmi nous – et des rapports d'application des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ce sont autant d'éléments utiles à l'appréciation de la situation et à l'élaboration des solutions par le Gouvernement.
Je suis animée par une volonté d'écoute et de coconstruction, sur la base de vos propositions, dans le travail législatif comme dans l'application des politiques publiques jusqu'au dernier kilomètre, si vous m'autorisez cette expression. L'essentiel est en effet que la politique se traduise en actes.
Ma boussole sera toujours l'intérêt supérieur de l'enfant.
Pour entamer notre dialogue, je tiens à vous dire que je m'efforcerai de répondre avec la plus grande sincérité ; la situation nous l'impose.