Depuis deux exercices, les départements se trouvent dans ce que j'appellerai une embellie provisoire. Nous sommes cent trois départements et naturellement, la situation peut être extrêmement contrastée de l'un à l'autre. Cette embellie provisoire est à mettre au crédit des importants efforts de gestion conduits par les départements depuis un certain nombre d'années. Elle est également due à une dynamique inattendue de recettes, en particulier après la crise du Covid. En revanche, cette situation ne dénote pas un soutien accru de l'État. La situation actuelle est conjoncturelle et nous ne saurions préjuger du futur dans un contexte de forte évolution structurelle. Comme vous le savez, nous sommes fortement affectés par une série de mesures décidées par les Gouvernements successifs et financées pour tout ou partie par les départements (avenant 43 de la branche de l'aide à domicile, champ médico-social, RSA, hausse du point d'indice, revalorisations salariales diverses, primes de feux, ASFAM, Ségur 1, 2, et 3). Dans un département moyen comme le mien, le Calvados, ces mesures représentent une augmentation des dépenses de vingt millions d'euros. Ces décisions s'imposent à moi et à l'ensemble de mon assemblée.
Nous faisons face à des incertitudes face à une recette qui a été dynamique ces dernières années, à savoir les droits de mutation à titre onéreux (DMTO). En effet, le durcissement des conditions de crédit aux particuliers devrait à lui seul provoquer une diminution de cette recette. J'estime que certaines projections sont relativement optimistes par rapport à l'ampleur que pourrait prendre cette réduction. Nous faisons donc face à un contexte de ressources qui risquent de plafonner, voire de diminuer, quand simultanément les dépenses vont augmenter. Nous nous retrouvons donc face à un potentiel effet ciseau.
Jusqu'à une période récente, les départements disposaient d'une variable d'ajustement à travers la fixation d'un taux d'imposition sur le foncier. Ce levier a disparu. Nous sommes dépendants de recettes sur lesquelles nous ne sommes pas en mesure d'influer. J'insiste sur ce point car nous allons devoir faire face, comme l'ensemble de la Nation, à un alourdissement structurel de nos charges du fait du vieillissement de la population. Cette tendance devrait s'observer durant les cinq à dix prochaines années.
Bien entendu, nous sommes également confrontés à la problématique du renchérissement des prix énergétiques, avec là encore des conséquences objectivement importantes.
Il convient à nos yeux de sécuriser et non pas de fragiliser les départements. Je connais la difficulté de l'exercice des fonctionnaires de Bercy mais j'invite à ne pas s'arrêter à une vision conjoncturelle et à tenir compte des tendances que j'indiquais.
S'agissant du projet de loi de finances, Départements de France aimerait que ce dernier soit garant d'une stabilité juridique, financière et fiscale. Mener à bien des politiques est malaisé dans un environnement mouvant.
L'une de nos demandes, qui ne vous surprendra pas même si elle ne sera pas entendue par tous, est liée à l'indexation des dotations des départements. Avec une inflation à 7 %, l'absence d'indexation représente un effort budgétaire de 1,8 milliard d'euros pour les collectivités. Nous avons été habitués, ces dernières années, à une inflation stabilisée aux alentours de 1 %, et il était relativement « facile » d'absorber les effets de la désindexation – quand bien même au fil du temps, les sommes cumulées devenaient assez importantes – mais une inflation de 7 % nous fait changer de paradigme. Je pense donc que la question de l'indexation des dotations doit être analysée.
À propos de la revalorisation du RSA, qui avait fait l'objet d'un débat au sein de votre commission, une compensation de cent vingt millions d'euros avait été accordée sur une période de six mois. Le montant de cette compensation devrait donc atteindre deux cent quarante millions d'euros en année pleine. Je précise d'ailleurs que cette compensation ne couvrait pas l'intégralité de la charge. J'insiste sur le terme de « compensation » en me référant à vos débats parlementaires, et à vos propos explicites, monsieur le président. Il n'est en effet pas impossible que d'aucuns considèrent que cette mesure serait transitoire et n'aurait vocation à concerner que certains départements. Ce n'était pas l'esprit dans lequel cette compensation a été créée.
Concernant la CVAE, nous ne sommes, comme vous l'imaginez, guère favorables à sa suppression, mais nous constatons néanmoins un certain nombre de points positifs. Tout d'abord, la compensation serait basée sur la TVA, ce qui était à nos yeux l'option préférentielle. Nous en sommes donc satisfaits. De même, notre souhait d'utiliser une période de référence triennale a été respecté. De la même manière, nous avions formulé le souhait de ne pas avoir à subir d'année blanche, et que l'indexation du produit individuel calculé sur la base de la TVA puisse tenir compte de la dynamique observée entre 2022 et 2023. Le projet de loi de finances semble aller dans ce sens et nous en sommes donc satisfaits. Une question reste pendante : celle de la territorialisation fiscale. Elle est prévue par défaut pour l'ensemble des collectivités territoriales mais nous pensons que cette question concerne principalement les EPCI et n'est pas véritablement pertinente pour les départements. Départements de France souhaite donc que la territorialisation ne soit pas appliquée à la strate départementale.
Concernant l'avenir du fonds de péréquation de la CVAE, comme ce qui a été mis en place pour les régions au 1er janvier 2021, nous demandons qu'une dynamique calquée sur la TVA soit retenue.
Concernant le FNGIR (Fonds national de garantie individuelle des ressources), qui était destiné à garantir la neutralité budgétaire de la taxe professionnelle, trois départements ont contribué au FNGIR, qui a reversé les montants collectés à tous les autres départements. Tant les prélèvements que les reversements sont figés en valeur. Par conséquent, les départements éligibles ont vu s'atténuer la croissance de leurs ressources alors que ceux concernés par le prélèvement ont bénéficié d'une forte croissance. Nous ne sommes pas opposés à l'intégration du FNGIR dans la référence CVAE mais nous attirons votre attention sur le cas particulier de Paris, qui est tout à fait atypique.
J'aimerais évoquer à présent le projet de loi de programmation des finances publiques. Nous avons entendu les discussions à propos de l'assignation d'un objectif de réduction des dépenses à raison de 0,5 % en dessous de l'inflation. Nous pouvons comprendre l'objectif d'une trajectoire de dépenses. En l'état des discussions, le raisonnement portera sur la strate départementale. Nous sommes favorables à cette approche. Cela nous laisserait une certaine souplesse vis-à-vis de collectivités qui connaîtraient des difficultés particulières. L'idée est que si la strate départementale dans son ensemble ne suit pas la trajectoire budgétaire prévue, alors la situation individuelle des collectivités serait examinée. Cette approche nous semble intéressante, même si nous sommes relativement dubitatifs quant aux critères de sanctions. Nous l'entendons dans l'optique de regards bruxellois, mais moins par rapport à notre conception de l'autonomie des collectivités territoriales.
Le périmètre d'application de ces taux de croissance est un grand sujet. Il ne vous aura pas échappé que les collectivités territoriales présentaient des situations différenciées. Je rappelle par ailleurs que le champ de la solidarité est du ressort de la strate départementale. Les AIS (allocations individuelles de solidarité) correspondent à des dépenses non pilotables des départements. Nous n'avons pas le pouvoir de refuser le versement d'une indemnité à ses ayants-droits, ni d'en modifier le montant. Il nous semblerait donc logique que les dépenses non pilotables soient exclues du champ d'analyse de la trajectoire des dépenses. Je classe dans la même catégorie les dépenses qui résultent de décisions des Gouvernements successifs que j'ai mentionnées tout à l'heure.
Je discutais avec mon collègue président du département du Nord il y a un instant. Dans son département, la prise en compte de l'ensemble de ces dépenses représente 3,8 % d'augmentation de son budget pour l'année prochaine. Ainsi, sur la base de l'hypothèse d'inflation indiquée, cela représente déjà l'intégralité de l'augmentation permise. Sans même tenir compte des AIS ni des coûts énergétiques, ce seul champ consomme l'intégralité de sa capacité d'augmentation budgétaire. Je pense donc que ces dépenses, tout comme les AIS, devraient être exclues du champ d'analyse. À tout le moins, si l'on devait opter pour une approche moins fine, nous plaidons pour une exclusion des dépenses liées au champ de la solidarité. Dans l'absolu, nous aimerions également pouvoir exclure les dépenses qui résultent de la contractualisation entre l'État et les départements. En effet, dans la mesure où l'État nous invite à signer un contrat ayant pour conséquence une augmentation de nos dépenses, il ne nous semblerait pas illogique d'exclure le cadre contractuel du périmètre d'analyse. Nous distinguons donc trois strates de dépenses : les AIS, les dépenses découlant de décisions gouvernementales et les dépenses résultant de dispositifs de contractualisation.
Départements de France souhaite également engager une réflexion sur la mise en place d'un bouclier énergétique. Des boucliers ont été mis en place pour les particuliers et pour les entreprises et il ne nous semble pas incohérent de pouvoir également bénéficier d'un tel dispositif. Nous pourrions par exemple convenir que les départements supporteraient les surcoûts en 2022 et que si d'aventure les coûts augmentaient encore en 2023, un tel bouclier serait mis en place. Il me semble d'ailleurs que des mesures de ce type ont déjà été arrêtées dans certains pays européens. Si les mesures prises par l'État pour contrecarrer ces effets inflationnistes sont fructueuses, alors nous n'aurons pas besoin d'envisager de bouclier énergétique.
L'élaboration de nos budgets pour 2023 sera un exercice délicat. Nous disposerons d'une enveloppe calculée sur la base des comptes administratifs de 2022 et d'un taux d'augmentation égal à l'inflation minorée de 0,5 %. Nous devrons ensuite répartir ces ressources entre les différents postes de dépenses. Trois cas de figure peuvent alors se produire. Dans le premier, le taux d'inflation réel s'avère en ligne avec les prévisions. Dans le deuxième, l'inflation est moindre que prévu. Notre budget voté en équilibre sur la base d'un taux prévisionnel se retrouvera alors en excédent. Enfin, dans le troisième cas, l'inflation est plus importante que les prévisions. Il nous faudra alors avoir recours à des décisions modificatives pour rétablir l'équilibre dans la mesure du possible.
Les écarts entre les prévisions et les indicateurs réellement constatés sont donc susceptibles de compliquer le pilotage des documents et ainsi, de les rendre moins compréhensibles si des écarts devaient être constatés.
Nous faisons face à une difficulté à propos des salaires versés à nos collaborateurs. Les régimes indemnitaires diffèrent entre les différentes strates de collectivités territoriales, ce qui peut en rendre certaines plus attractives que d'autres. Nous faisons face à une situation inédite de difficultés de recrutement pour certains postes, et cette problématique est liée aux écarts entre les régimes indemnitaires. Plusieurs de mes collaborateurs sont partis pour ces raisons et j'ai des difficultés à leur trouver des remplaçants. Or nous exerçons des missions essentielles dans le champ de la solidarité. Il serait impensable de se retrouver dans l'incapacité de couvrir l'ensemble de notre champ de compétences faute d'effectifs suffisants. Et nous n'avons guère de marges de manœuvre pour nous aligner sur les régimes indemnitaires des autres collectivités, du fait de l'encadrement de nos dépenses.
J'insiste pour conclure sur l'hétérogénéité de situation des départements. En dépit de l'embellie conjoncturelle actuelle, plusieurs départements sont en grande difficulté, avant même la mise en œuvre des mesures que j'ai commentées. Il me semble donc pertinent de prévoir un dispositif adapté pour les départements les plus en difficulté. Je ne saurais vous les dénombrer exactement mais je pense qu'entre dix et vingt départements pourraient avoir besoin d'un soutien.