Je suis très heureuse d'intégrer votre commission. Je ne suis pas présente seulement en raison des élections européennes mais pour examiner un texte qui fera partie, je l'espère, de cet édifice que nous essayons de construire ensemble. Cette proposition de résolution européenne vise à étendre les compétences du Parquet européen aux infractions à l'environnement.
Il y a quatre ans, je rapportais devant la commission des lois le texte qui mettait en place le Parquet européen en France. Je propose aujourd'hui cette résolution dans le prolongement des travaux que nous avions menés. En effet, du chemin a été parcouru depuis quatre ans. Alors que la mise en place d'un Parquet européen avait pu susciter des inquiétudes, quant à son articulation avec les juridictions des États membres notamment, le résultat de ces trois années d'activité démontre la réussite presque totale de ce projet.
Le Parquet européen constitue désormais une pièce maîtresse de l'architecture de justice et de sécurité de l'Europe en poursuivant les auteurs d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne. Aujourd'hui, ce Parquet s'occupe des poursuites pour fraudes ou détournements aux recettes du budget de l'Union européenne. Quelques chiffres suffisent d'ailleurs à illustrer la contribution du Parquet européen à la lutte contre la fraude : au 31 décembre 2023, près de 2 000 enquêtes étaient en cours, pour un préjudice estimé à environ 20 milliards d'euros. Sur l'année 2023, le Parquet a procédé à la saisie d'1,5 milliard d'euros.
La question de l'extension des compétences du Parquet européen au-delà des seules infractions portant atteintes aux intérêts financiers de l'Union européenne s'est posée dès sa création. De mémoire, au moment des débats parlementaires, il y avait eu des amendements d'extension à divers champs, dont le champ environnemental, mais également les questions liées aux infractions terroristes qui intéressent certains États membres. Cette question se pose aujourd'hui avec une force particulière s'agissant de la criminalité environnementale, au regard de l'urgence climatique que nous vivons.
La criminalité environnementale connaît en effet une croissance inquiétante. Elle est souvent le fait d'organisations criminelles à la recherche d'activités fortement lucratives mais dont le risque pénal est bien inférieur à d'autres infractions plus classiques telles que le trafic de stupéfiant. Elle a été classée par les Nations Unies et l'agence Interpol au quatrième rang des activités criminelles les plus importantes au monde et constitue une source de financement pour des réseaux qui se livrent aussi à d'autres trafics, voire à des activités terroristes et présente donc une réelle menace pour notre sécurité collective.
Cette criminalité environnementale prend des formes nombreuses : trafic de déchets, d'espèces protégées, émission ou rejet illégal de substances polluantes dans l'atmosphère, le sol ou l'eau. Elle contribue à l'augmentation de la pollution, à la dégradation de la faune et de la flore, à la réduction de biodiversité et in fine comporte des risques pour la santé humaine.
Toutefois, la criminalité environnementale demeure mal saisie par les juridictions pénales nationales. En effet, ces affaires représentent moins d'1 % des cas traités par les juridictions judiciaires françaises. Un rapport du groupe de travail mené sous l'égide de la Cour de cassation relève une réponse pénale insuffisante via la préférence donnée aux alternatives aux poursuites.
La pertinence d'une action à l'échelle européenne dans ce domaine est incontestable.
Il y a d'abord une évidence dans le caractère transfrontalier des infractions environnementales : la pollution ne s'arrête pas aux frontières, les trafics de déchets entraînent une réelle nécessité d'assurer une poursuite à l'échelle de l'Union européenne. Actuellement, si les services de police coopèrent dans ces domaines, cette coopération, on doit le dire, ne fonctionne pas toujours. Elle peut être complexe et les procédures peuvent être ralenties : une direction d'enquête assurée par le Procureur européen permettrait d'améliorer substantiellement la coordination dans ce domaine.
Autre élément, les demandes d'entraide judiciaire auprès de l'agence Eurojust en matière environnementale ne représentent qu'1 % des saisines des États membres auprès de l'agence, ce qui est très insuffisant. Celle-ci a dans un rapport de 2021 regretté un tel manque d'investissement des États membres dans ce domaine.
L'Union européenne a placé la lutte contre la dégradation de l'environnement au cœur de son action, via notamment le Pacte vert. Dès lors, l'extension de la compétence matérielle du Parquet européen serait un signal supplémentaire envoyé en ce sens. Celui-ci est en effet en capacité de définir lui-même une politique pénale au niveau européen sans être dépendant des saisines effectuées par les États membres. Le doter de compétence en matière environnementale permettrait ainsi d'ériger la protection de l'environnement en priorité de politique pénale.
Cette extension est d'autant plus cohérente avec la mission de protection des intérêts financiers de l'Union du Parquet européen, dès lors que l'Union consacre désormais 30 % de son budget à la protection de l'environnement et du climat, auxquels s'ajoute également une partie substantielle des montants du plan de relance. De surcroît, la répression des réseaux criminels qui contournent les obligations de protection de la nature constitue une condition de l'acceptabilité sociale des normes environnementales, qui est aujourd'hui un enjeu majeur.
Enfin, la mise en place de ce Parquet vert européen permettrait une action plus intégrée au niveau européen afin de remédier aux limites identifiées de la coopération judiciaire intergouvernementale.
Pour toutes ces raisons, j'ai la conviction qu'il est nécessaire d'étendre la compétence du Parquet européen à la criminalité environnementale, sans plus attendre. Bien que celui-ci ne soit en activité que depuis trois années, son action est unanimement saluée, son bilan démontre son efficacité et son fonctionnement s'inscrit en parfaite coopération avec les juridictions des États membres.
Attendre davantage avant d'envisager cette extension, c'est laisser davantage de temps aux réseaux criminels pour développer leurs trafics, c'est échouer à prévenir des dégradations de l'environnement dont les conséquences pourraient être difficilement réparables, parfois irrémédiables. Enfin, c'est nier une réalité qui a pourtant été affirmée par l'Union européenne, elle-même, dans la loi pour le climat : le changement climatique constitue une menace existentielle pour l'humanité. Face à cette menace, dans un État de droit, la justice, et la justice pénale en particulier, a une mission de protection.
C'est pourquoi, j'espère mes chers collègues, que vous soutiendrez cette proposition de résolution.