Oui. Nous avons affaire à un système pyramidal. À l'époque où nous étions ridiculisés à propos de la censure du reportage sur le Crédit mutuel, les producteurs ont compris qu'ils ne pourraient plus proposer de reportages sur les banques à Canal+. Lorsque les sept projets que je vous ai cités ont été refusés début 2016, ils ont rajouté sur la liste des sujets tabou la pollution chez les constructeurs automobiles, les sujets politiques, la vente d'armes par la France, etc. Ils ont donc eu tendance à éviter de faire travailler leurs équipes sur ce genre de sujets. Il s'agit donc d'une forme implicite de censure. Lorsqu'en 2015, la direction de Canal+ déclare qu'elle souhaite évoquer les polémiques vis-à-vis des partenaires actuels ou futurs, nous avons cherché pendant des mois à connaître le périmètre qui nous était interdit, sans jamais obtenir de réponse. Il n'est pas envisageable de travailler sur une enquête d'investigation pendant des mois et d'impliquer des partenaires pour découvrir finalement que le sujet n'est pas accepté. Cela peut même mettre en danger nos sources. Des cadres du Crédit mutuel ont remarqué que des valises remplies de billets arrivaient régulièrement dans les filiales à Monaco et en Italie et que les clients riches étaient invités à pratiquer l'exil en Suisse. Dans un premier temps, ils ont cherché à prévenir leur direction mais cette dernière les a menacés d'un licenciement. C'est par désespoir qu'ils ont alors contacté Mediapart et nous avons finalement eu vent de l'affaire. Les personnes que nous interviewons prennent des risques lorsqu'elles témoignent face à une caméra – nous devons parfois préserver leur identité. Les sources comme les journalistes peuvent être menacés. L'investigation est fondamentale pour le journalisme. Sans investigation, les journalistes animent des débats polémiques. J'ai l'impression que notre rôle d'information n'intéresse pas beaucoup. Je considère que nous avons affaire à une violation constante des règles éthiques de l'information. Les journalistes sont censurés et invités à violer leur charte déontologique à longueur de journée.