À plusieurs reprises, des proches de Vincent Bolloré ont participé au comité d'entreprise. Leurs propos ont été consignés dans les procès-verbaux de l'instance. Ils ont déclaré que Vincent Bolloré était intervenu personnellement. Lui-même avait participé directement au comité d'entreprise, et il a alors assumé son intervention pour faire censurer le reportage sur le Crédit mutuel. Quand vous ne pouvez plus travailler pendant des mois et que l'on menace de vous licencier dès que vous prenez un mandat syndical, vous comprenez rapidement qui est le patron. D'ailleurs, des responsables bien au-dessus de nous comme Rodolphe Belmer et Ara Aprikian ont été expulsés très brutalement du groupe Canal+ à l'arrivée de Vincent Bolloré à l'été 2015. Il considère qu'il peut agir comme il l'entend y compris avec les dirigeants de l'entreprise, donc comment voulez-vous qu'un salarié de base puisse s'opposer à lui ? Divers responsables nous ont confirmé sans hésiter que Vincent Bolloré était intervenu. Les procès-verbaux font foi. Il intervient sans se cacher car il est quasiment certain de son impunité.
Pour répondre à votre question sur les violations de la loi, la plus sérieuse me semble être celle de la loi de 1986 qui prévoyait déjà l'impossibilité pour un actionnaire d'entraver la liberté éditoriale pour défendre les intérêts de ses affaires. Si l'on permettait à des industriels de prendre le contrôle de médias importants en France, puis d'entraver le travail des journalistes, il deviendrait compliqué pour ces derniers d'exercer leur métier. Sinon on ne parlerait plus de médias mais d'instruments de propagande. C'est interdit depuis 1986 mais cette loi n'est absolument pas respectée. En 2016, devant la multiplication des scandales, notamment à Canal+, François Hollande a lancé l'idée de la loi Bloche, qui renforce celle de 1986. À l'époque, nous étions plutôt satisfaits mais cela n'a rien changé à la situation. La loi Bloche a instauré des comités d'éthique. Vincent Bolloré a créé un tel comité mais il a pris soin d'y nommer au moins trois membres sur six qui soient en lien d'affaires avec lui. La ficelle était tellement grossière que le CSA a demandé à Vincent Bolloré de nommer des personnes qui ne seraient pas liées à lui en affaires mais c'est toujours lui qui nomme les membres de ce comité. C'est une vaste blague ! En tant que délégué syndical, j'ai demandé à participer aux réunions, afin de mettre au point une charte de déontologie, mais je n'ai pas été invité. J'ai saisi l'inspection du travail mais celle-ci était débordée et je n'ai eu aucune réaction avant trois ans.
Peut-on admettre qu'un animateur accusé d'agressions sexuelles, en l'occurrence Jean-Marc Morandini, soit désigné comme vitrine d'une chaîne d'information ? Une centaine de mes collègues d'I-Télé ont considéré que c'était inacceptable mais ils ont perdu la bataille et leur emploi. La direction était prête à attendre pendant six mois que les grévistes abandonnent la partie. Au bout de cinq semaines, ne pouvant plus payer leur loyer ou nourrir leurs enfants, mes collègues ont fini par partir. Maxime Saada a déclaré la semaine dernière que chacun était libre de signer ou non les accords de confidentialité et que ceux qui les signaient devaient les respecter. Cette argumentation semble imparable mais cela suppose que l'employé soit au même niveau que l'employeur. Or ce n'est pas du tout le cas dans le système mis en place par Vincent Bolloré.