La PAC fut un succès à ses débuts car elle jouait sur les prix : elle a rendu la production de lait et de céréales rentable, au contraire de celle des protéagineux, qui ne disposaient d'aucune protection ; la production est donc devenue excédentaire dans les domaines où les prix étaient élevés et déficitaire dans ceux où les prix étaient bas. Le prix est un outil redoutablement efficace pour réorienter la politique agricole. Quand je vous propose d'instaurer une taxe sur les engrais azotés de synthèse et d'en utiliser le produit pour rémunérer les légumineuses, il s'agit de la même démarche.
Une telle mesure n'est pas contraire à l'économie de marché, mais, comme toute régulation de prix, elle s'extrait du système du libre-échange. Nous serons bientôt contraints de l'adopter, car nous devons nous protéger. Dénoncer les accords de Blair House, si nous y arrivons, créera peut-être du tort aux Nord-Américains, mais aucun aux Argentins, ni aux Brésiliens. L'intérêt de tous les peuples est que le Brésil produise moins de soja et s'en serve pour nourrir sa propre population plutôt que les cochons français ; et que nous, nous retrouvions une souveraineté dans le domaine protéique et dépendions moins des énergies fossiles.
La question n'est pas de savoir s'il nous faut de l'agriculture biologique ou raisonnée – laissons les sectes de côté. L'agriculture biologique présente l'avantage de bénéficier d'une certification décernée par une tierce partie et répondant à un cahier des charges : les consommateurs aisés peuvent acheter plus cher les produits issus de cette forme d'agriculture. Sauf que ce segment de la population est de plus en plus étroit.
Il faudra aussi un jour rémunérer les services environnementaux. Rémunérer la séquestration du carbone est une décision souveraine qui permet de préserver l'humus des sols, donc d'éviter l'érosion et de retenir l'eau : allons-y ! Rémunérons aussi les légumineuses, et les infrastructures écologiques qui hébergent les mésanges bleues ! Valorisons nos ressources locales. Tous les peuples du monde devraient avoir le droit de faire un usage intensif des potentialités productives locales : ce n'est pas franchouillard, c'est très solidaire et cela repose sur la science. La photosynthèse intercepte l'énergie solaire gratuite et capte le carbone ; l'azote de la légumineuse est naturel, c'est mieux que le tourteau de colza ; les champignons mycorhiziens extraient des éléments minéraux de la profondeur des sols ou des interstices des argiles, donc on n'utilise pas de fongicides. Soyons souverains et raisonnables !