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Intervention de Louis Le Franc

Réunion du lundi 18 mars 2024 à 8h00
Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Louis Le Franc, haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie :

Un canevas de questions nous a été communiqué, auquel nous répondrons par écrit, comme vous nous l'avez demandé.

En Nouvelle-Calédonie, la compétence de la sécurité civile a été transférée par l'État à la collectivité. Le président de Nouvelle-Calédonie assure donc cette compétence. Nos prédécesseurs ont dû trouver la bonne adéquation pour faire face à toutes les situations auxquelles nous confrontent les événements naturels majeurs, qui génèrent des risques majeurs. En Nouvelle-Calédonie, nous connaissons des cyclones, des épisodes de vents violents et de pluies, des orages, des inondations, de petits tsunamis, de fortes houles, des séismes, des glissements de terrain et des feux de brousse, qui sont l'équivalent des feux de forêt en région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Comme nous nous situons à 20 000 kilomètres de la métropole, nous faisons en sorte, avec nos partenaires, les exécutifs des collectivités calédoniennes, le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie et les présidents des provinces, de trouver les bonnes formules pour faire face à tous ces événements.

Les facteurs de vulnérabilité, que sont l'insularité et l'éloignement, impliquent à moyens constants, d'articuler intelligemment ces moyens et de les renforcer si nécessaire. Il faut donc anticiper intelligemment les problèmes auxquels nous pouvons être confrontés.

Entre 2020 et 2023, la Nouvelle-Calédonie a subi neuf cyclones et dépressions tropicales majeures, deux événements pluvieux de très forte intensité pendant 48 heures au mois de janvier et février 2022. Même si la gestion des risques majeurs est une compétence du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, l'État demeure un point d'appui très important, car la Nouvelle-Calédonie ne peut absolument pas faire face seule.

Je peux vous parler de nos structures, des effets du changement climatique en matière de risques éventuels, du cadre légal et réglementaire, des mesures d'adaptation pour éviter l'érosion du trait de côte, des risques de submersion, mais aussi des points d'amélioration depuis que cette compétence a été transférée. Je ne pense pas que nous puissions parler d'un essoufflement. Nous sommes dans la recherche constante de solutions d'amélioration.

Les forces armées du gouvernement de Nouvelle-Calédonie sont essentielles, tout comme l'État-major interministériel de zone, la police nationale sur la zone de compétence de la police d'État pour la ville de Nouméa et la gendarmerie nationale pour le reste du territoire.

Dans le domaine sanitaire et social, la santé n'est pas une compétence de l'État. Elle a été transférée. Les hôpitaux, spécialisés ou non, relèvent de la compétence du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

La politique de prévention des risques climatiques majeurs est encore en phase embryonnaire en Nouvelle-Calédonie. Comme sur le plan opérationnel, nous sommes dans une posture d'appui, notamment financier, pour aider ceux qui ont la charge de développer cette politique de prévention. Les plans de sauvegarde des communes et les documents d'information communaux sur les risques majeurs (DICRIM) n'existent pas. La chambre territoriale des comptes a rédigé un rapport très précis, qui indique ce qu'il convient de faire.

L'urbanisme ne relève pas de la compétence communale. Les plans d'occupation des sols ou plans d'urbanisme directeurs (PUD) relèvent de la compétence provinciale. Ils définissent les conditions de construction auxquelles les maires doivent se conformer.

La Nouvelle-Calédonie est un territoire immense, avec la Grande Terre, de 450 kilomètres sur 50 ou 75 kilomètres de large et au milieu, l'épine dorsale d'une chaîne de montagnes très hautes. Sur ce territoire, il n'y a que 33 communes, de 30 à 60 kilomètres, depuis le bord de mer jusqu'au pied des montagnes, à l'ouest comme à l'est.

L'autre spécificité de la Nouvelle-Calédonie est qu'au-delà des terres de droit commun, il y a aussi des terres coutumières, sur lesquelles l'État, la province ou la commune n'ont pas la compétence, puisqu'elles sont régies par les autorités coutumières. Elles sont concernées par la règle dite « des 4 i », car elles sont inaliénables, incommutables, incessibles et insaisissables.

Lorsque le président de la République est venu le 10 juillet 2023, nous nous sommes rendus sur une commune de la côte est de la Grande Terre, où les événements des années 1984-1988 ont été les plus durs et où il y a eu une centaine de morts. Ces communes comptent de nombreuses tribus, à la tête desquelles tous les maires sont indépendantistes. Les terres coutumières y sont très nombreuses. Nous avons amené le président de la République sur une commune souffrant des problèmes d'érosion des côtes et de relogement des populations. Le maire, le président de la province Nord et l'État n'étant pas compétents, ces problèmes relevaient de l'autorité du chef de clan. Il a fallu reloger les populations dans des constructions nouvelles à l'écart du littoral en collaboration entre le maire et les autorités coutumières, mais l'État et le président de la province ne pouvaient pas s'en mêler. Or le plan d'urbanisme relève de la compétence de la province.

En tant que représentants de l'État, nous ne pouvons pas empiéter sur les compétences locales. Nous accompagnons les maires, les présidents de province et le président du gouvernement par des moyens financiers, humains ou techniques qui nous sont propres. Nous n'avons pas de centre régional, mais un commandement des opérations de secours (COS), une structure territoriale armée par des militaires, qui constitue un moyen de gestion opérationnelle, en appui des compétences locales pour ce qui relève des eaux intérieures du lagon, sur lesquelles le directeur des opérations de secours est le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Les eaux extérieures du lagon relèvent des compétences de l'État, que le haut-commissaire doit assumer. Le lagon s'étend, à partir du bord de mer, sur une vingtaine de kilomètres, jusqu'à la barrière récifale qui encercle la Grande Terre.

Vous voyez que, même sur le plan opérationnel, nous sommes dans une logique de compétences partagées dans le domaine maritime. Nous formons les personnels calédoniens de la fonction publique territoriale de Nouvelle-Calédonie à faire le même travail que les militaires qui travaillent au COS, comme dans les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (CROSS) de Méditerranée ou du cap Gris-Nez au nord de la métropole. Nous sommes obligés de nous coordonner avec le gouvernement de Nouvelle-Calédonie pour ne pas mettre les populations à risque dans le domaine maritime et en matière d'évacuation des personnes.

La gestion opérationnelle des événements n'est pas possible sans cette structure de l'État qui est armée par les militaires. Pour les évacuations, nous avons besoin de la gendarmerie nationale. Pour les observations aériennes et les moyens de surveillance, nous n'avons ni hélicoptère ni avion et tout repose sur les moyens aériens des forces armées en Nouvelle-Calédonie. Pour les prévisions, les moyens sont placés sous la responsabilité de la Nouvelle-Calédonie, mais ils sont financés par l'État. Le directeur Pragash Eganadane est de Météo-France, même s'il est ici sous le contrôle opérationnel du président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Dans le domaine de l'environnement, un service de l'État assume une compétence partagée concernant l'agriculture, la forêt et l'environnement. L'environnement est une compétence provinciale, tandis que l'agriculture et la forêt sont des compétences territoriales, selon la loi. Pour les mesures de protection de l'environnement en cas d'événements majeurs, Pragash Eganadane est sollicité sous l'autorité du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ou du maire, selon l'importance de l'événement, mais il agit en liaison avec l'État.

En bref, l'État n'a pas la compétence, sauf pour le domaine maritime à l'extérieur du lagon. Le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie assume la responsabilité directe, sachant que la quasi-totalité des atteintes à l'environnement résultant des bâtiments de commerce qui viennent mouiller au port de Nouméa se situe dans les eaux intérieures du lagon.

La posture de l'État est d'apporter un accompagnement financier lorsque des événements naturels abîment l'environnement, mais la gestion directe revient aux collectivités calédoniennes. Sur le plan strictement opérationnel en mer, l'État vient en appui. Le centre opérationnel de secours et de sauvegarde est un organe pivot, dans lequel des militaires de l'armée de terre ou de la marine agissent en liaison étroite avec les structures chargées de faire de la prévention ou comme Météo-France, des prévisions et des annonces précises, par exemple, sur la puissance des cyclones.

Cet ensemble doit parfaitement fonctionner, parce que nous sommes seuls, sur une île à 20 000 kilomètres de la métropole. Il nous est arrivé de venir en appui de cyclones successifs et d'un séisme en mars dernier au Vanuatu, au moment où Gérald Darmanin venait en Nouvelle-Calédonie. En liaison avec Sébastien Lecornu, le ministre des armées, nous avons fourni des moyens pour réduire les effets de ces événements sur l'une des îles les plus importantes du Vanuatu. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a également apporté des moyens.

Les sapeurs-pompiers sont fondus dans une organisation communale, selon la loi de départementalisation des SDIS de 1987. Il n'y a pas d'organisation ni de gestion coordonnée et optimisée des sapeurs-pompiers. Il y a un peu de pompiers professionnels et un peu plus de volontaires, mais tous ces moyens sont à la main des maires. Même si le président du gouvernement a la responsabilité de la sécurité civile, il doit engager les sapeurs-pompiers en liaison étroite avec les maires.

J'ai à mes côtés un lieutenant-colonel des sapeurs-pompiers professionnels, qui a beaucoup de connaissances. Il sait comment fonctionnent les centres des structures opérationnelles, car il les a pratiqués. Il est en appui des structures locales, en donnant des conseils, il lui arrive de prendre la main pour éviter les catastrophes, mais la protection des biens et des personnes ne relève pas de l'État.

Il y a quelques mois, j'ai découvert, dans un rapport de la Cour des comptes, que si le président du gouvernement était défaillant, il fallait que je me substitue à lui, dans un temps relativement réduit, pour les événements de portée cyclonique ou autre, à l'origine de drames humains et de destructions d'habitations ou de structures portuaires importantes. Aussi, même si les compétences ont été transférées, le haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie peut voir sa responsabilité pénale engagée si les exécutifs, les maires, les présidents de province ou le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sont défaillants, ce qui m'impose d'être bien informé de l'importance des sinistres et de leurs effets sur les populations et les infrastructures locales. C'est pourquoi j'ai à mes côtés ceux qui ont ce savoir et cette capacité de conseil auprès des élus locaux.

Comme vous pouvez le voir, nous fonctionnons de manière très imbriquée. Je n'ai pas noté, depuis que je suis en poste, de problèmes majeurs, mais il y en a certainement. Il est toujours possible de s'améliorer.

Le point faible est l'absence d'organisation intégrée de sécurité civile, de centre de traitement des appels, de centre coordonné de gestion et d'emploi des moyens de sapeurs-pompiers, qui relèvent essentiellement de l'autorité des maires. Il faut donc mettre toutes ces personnes en contact pour obtenir l'effet recherché. Voilà pour le contexte dans lequel nous sommes.

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