Le 22 juin 2023, la rédaction du Journal du dimanche votait une grève qui durera quarante jours, ce qui en fait la deuxième plus longue de l'histoire des médias en France. Cette mobilisation massive faisait suite à la nomination, dictée par l'actionnaire, d'un nouveau directeur de la rédaction arrivant tout droit d'une publication d'extrême droite. La rédaction en est sortie décimée.
La semaine dernière, La Provence a connu une grève lorsque l'actionnaire s'est mêlé de sa ligne éditoriale. Mécontent de la « Une » de ce journal sur son déplacement à Marseille, le Président de la République n'a pas manqué de le faire savoir au propriétaire, ce qui a entraîné la mise à pied du responsable de la rédaction.
Ces deux exemples, parmi tant d'autres, illustrent la censure directe ou indirecte qui sévit dans les médias.
La liberté éditoriale des médias est en crise, parce que les médias sont concentrés entre les mains de quelques-uns. Leurs noms, nous les connaissons tous : Vincent Bolloré avec le Journal du dimanche, Europe 1 et CNews ; Bernard Arnault avec Le Parisien, Les Échos et bientôt Paris Match ; Rodolphe Saadé avec La Tribune, La Provence et prochainement BFM TV et RMC. Onze milliardaires détiennent 80 % de la presse quotidienne généraliste, près de 60 % des parts d'audience de la télévision et la moitié des audiences de la radio.
Cette concentration ne résulte pas d'un intérêt financier pour le secteur des médias – cela se saurait –, tant son modèle économique est fragile, mais bien d'une volonté de détenir un vecteur d'influence. M. Bolloré utilise ses médias, après avoir épuré leur rédaction initiale, pour mener une guerre idéologique, à coups de fake news si nécessaire.
Les entreprises de médias ne sauraient être des entreprises comme les autres, parce qu'elles produisent un bien qui n'est pas comme les autres : de l'information. L'information est un bien vital pour une démocratie : elle expose publiquement des faits, elle est outil de contrôle des pouvoirs et elle est nécessaire à l'exercice de la citoyenneté.
Le groupe Écologiste-NUPES a inscrit à l'ordre du jour de sa niche parlementaire une proposition de loi apportant une réponse au phénomène de dégradation de la liberté éditoriale et de concentration des médias. Certes, elle ne peut pas tout. Elle doit être le début d'une série de mesures visant à protéger les journalistes et les rédactions pour renforcer leur indépendance et garantir le pluralisme dans les médias. L'augmentation du nombre d'entraves à la liberté de l'information nous interdit de remettre notre action à une hypothétique suite législative des EGI, dont les espoirs commencent d'ores et déjà à disparaître.
Nous proposons un nouveau droit collectif simple : un droit d'agrément de la ou du responsable de la rédaction, dont la nomination serait soumise à un vote des journalistes de la rédaction. Pour assurer sa mise en œuvre, ce droit d'agrément déterminerait l'octroi des aides publiques directes et indirectes à la presse. Un tel droit d'agrément n'a rien de fantaisiste. Les rédactions du Monde, des Échos et de Libération l'ont adopté sous diverses variantes. Cela n'a donc rien d'impossible.
Je tiens à saluer – j'espère pouvoir en dire autant de l'examen du texte en commission – le travail transpartisan mené jusqu'à présent par madame la rapporteure, avec des collègues de plusieurs groupes engagés en faveur d'une information indépendante et pluraliste, indispensable à une société démocratique effective. Notre attachement commun au droit à l'information devrait nous amener à adopter largement le texte. Soixante-dix sociétés de journalistes, médias, syndicats et collectifs nous regardent et nous y enjoignent.