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Intervention de Jérémie Patrier-Leitus

Réunion du mardi 26 mars 2024 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérémie Patrier-Leitus :

« Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur. » Cette formule de Beaumarchais, inscrite en une du Figaro depuis le XIXe siècle, nous rappelle, s'il en était besoin, l'importance de la liberté de la presse et de l'indépendance des médias. La presse, les médias ne sont pas des biens comme les autres. Hubert Beuve-Méry, le fondateur du Monde, le résumait très simplement : « Informer un homme, lui fournir les éléments d'une conviction et d'un jugement est tout autre chose que lui procurer un chapeau ou une paire de chaussures. » Les médias sont l'arme la plus puissante de la démocratie, le baromètre de notre liberté et le rempart contre la tyrannie.

Depuis le XIXe siècle, nos prédécesseurs parlementaires français ou européens ont, loi après loi, directive après directive, et quels que soient les gouvernements, renforcé la liberté des journalistes et l'indépendance des médias : protection de la liberté éditoriale, protection du secret des sources, protection des médias vis-à-vis des pressions économiques et politiques, indépendance et pluralisme de l'information et des programmes, clause de cession et de conscience pour les journalistes.

Malgré ces avancées obtenues au fil des ans, force est de constater que la concentration des médias à laquelle nous faisons face nous oblige à réinterroger notre cadre législatif et nos règles. Garantir la liberté éditoriale et l'indépendance des journalistes face aux potentielles ingérences économiques ou politiques n'est pas un combat partisan, le combat d'un camp contre un autre. Au contraire, protéger les journalistes, garantir leur indépendance, c'est protéger notre démocratie et notre République. C'est à ce défi collectif que nous devons réussir à répondre, au-delà des clivages qui peuvent nous opposer par ailleurs.

Madame la rapporteure, je vous remercie d'avoir conduit un travail parlementaire rigoureux et approfondi, en menant de nombreuses auditions de qualité, et de nous présenter une proposition de loi ayant le mérite de poser une question salutaire et fondamentale et d'ouvrir un débat nécessaire : comment sauver les médias, dont les modèles économiques sont fragiles, tout en préservant leur indépendance et celle des journalistes ?

Loin des caricatures démagogiques et des postures, il faut être lucide : le rachat des médias par de grands industriels et par des chefs d'entreprise permet, le plus souvent, de les sauver et de leur apporter l'argent nécessaire à leur développement. Sans ces actionnaires, de nombreux médias auraient disparu. Il ne nous en incombe pas moins à nous, législateurs, d'encadrer les relations entre ces actionnaires et les journalistes afin de garantir la liberté éditoriale. Nous ne pouvons demeurer indifférents à la mobilisation des journalistes du Journal du dimanche ni aux tribunes des journalistes, notamment celle parue ce jour dans Le Monde nous demandant de renforcer l'indépendance des rédactions.

Au groupe Horizons et apparentés, nous sommes attachés à la liberté d'entreprendre et, en même temps, profondément soucieux de l'indépendance des médias et des journalistes. Nous devons donc parvenir à un équilibre en la matière. Il n'y a pas de réponse définitive. Au cours des auditions, auxquelles nous avons pris part dans le cadre du groupe Médias et information majorité présidentielle, nous avons constaté que le droit d'agrément, qui offre aux journalistes un nouveau droit collectif, est loin de faire l'unanimité, même parmi eux.

Si nous examinons sa mise en œuvre concrète, nous observons qu'il fonctionne au journal Le Monde ; aux Échos, il crée une situation de blocage, qui dure depuis plusieurs mois. Plutôt qu'imposer dans l'urgence ce droit collectif, au risque de déstabiliser le secteur, il nous semble essentiel de proposer des mesures permettant de compléter la loi du 29 juillet 1881, la loi du 30 septembre 1986 et la loi du 14 novembre 2016, lesquelles ne suffisent plus à répondre à cet enjeu majeur.

Les aides à la presse doivent être revues et redéfinies. La gouvernance des médias doit être réexaminée. Le pluralisme de l'information doit être garanti, en tirant les conséquences des limites de la loi « Bloche ». La création de fonds de dotation et de fondations dédiées à la presse doit être encouragée. Les médias doivent être protégés contre les ingérences étrangères.

Nous souhaitons que, en lien avec le Gouvernement, le ministère de la culture et les EGI, notre assemblée formule rapidement des propositions concrètes et exhaustives permettant de relever durablement le double défi de la sauvegarde économique de nos médias et de l'indépendance des journalistes ainsi que des rédactions. Dans l'attente de l'aboutissement des travaux de concertation en cours et la présentation d'un texte de loi global, les membres du groupe Horizons et apparentés sont majoritairement défavorables à la présente proposition de loi.

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