La liberté éditoriale des médias est un sujet important : elle permet l'expression du pluralisme politique et garantit la démocratie. La proposition de loi entend défendre ce principe, qu'elle oppose à la mainmise de propriétaires peu scrupuleux sur les différentes rédactions journalistiques. Dans son article 1er, qui ne s'adresse qu'à la presse papier, elle entend conditionner l'apport d'aides publiques à la mise en place d'une procédure d'agrément pour la nomination de tout responsable de la rédaction, par un vote des journalistes professionnels. L'article 2 en est une déclinaison destinée aux rédactions audiovisuelles.
Or les acteurs de la presse écrite eux-mêmes s'opposent à cette mesure, qu'ils jugent risquée, notamment pour les petites rédactions. Il suffirait en effet de s'assurer la loyauté de la majorité des journalistes d'une rédaction pour la contrôler directement sans même avoir à l'acheter. Plus l'organisme serait petit, plus il serait simple d'en prendre le contrôle. Cet entrisme compliquerait d'autant la capacité d'action des rédactions qui pourraient se retrouver paralysées par des luttes d'influence diverses.
En outre, le texte oublie que, bien souvent, les journalistes ont une orientation politique assez similaire à celle du propriétaire de leur média, car c'est lui qui les recrute. Si une personne disposant d'importants moyens financiers avait réellement un projet politique, elle pourrait très bien ignorer cette loi et se passer des aides publiques. Elle n'aurait qu'à laisser la situation se dégrader, à attendre que tous les journalistes partent un à un, avant de les remplacer et de faire ce qu'elle souhaite.
Il me semble aussi nécessaire de rappeler que la mise en œuvre d'une telle loi serait un recul sans précédent du droit à la propriété privée. L'équilibre entre journalistes et propriétaire se retrouverait rompu, au profit des premiers. De plus, le terme « responsable des rédactions » est assez flou. Il peut renvoyer à différentes personnes, comme le directeur de la rédaction, le directeur de la publication ou le directeur de l'information. Des situations ubuesques pourraient advenir : un directeur de la publication serait responsable devant la justice de la ligne et des propos tenus lors d'une émission, alors même qu'il n'aurait aucun pouvoir décisionnaire dessus.
Par ailleurs, ce texte, qui annonce dans son exposé des motifs vouloir défendre les droits de la presse, fait l'exact inverse. Il n'est en réalité qu'un instrument au service de la disparition des idées pluralistes dans les médias. En voulant donner le pouvoir d'agrément aux journalistes, dont la majorité se réclame d'une idéologie de gauche, il ne ferait que renforcer la prégnance de ces idées au sein des rédactions et, en supprimant toute voix discordante, il nuirait au débat public, qui s'enrichit par la diversité des opinions.
Le pluralisme est d'ailleurs mis en difficulté par le pouvoir lui-même, comme on l'a vu une nouvelle fois la semaine dernière, quand il a demandé la mise à pied du directeur de La Provence pour une « Une » qui ne lui plaisait pas. Avant d'essayer, au nom du pluralisme, de dénier au propriétaire toute forme d'influence, vous devriez essayer de le faire respecter par le Gouvernement et le service public.
Votre texte est bel et bien dangereux, en ce qu'il cherche seulement à éliminer les avis différents qui malmènent l'hégémonie médiatique de la gauche. Mais il est aussi stupide, car il ouvre des failles qui pourraient faciliter les mainmises sur les titres de presse ou sur les chaînes de télévision. C'est d'ailleurs pour cela que tous les acteurs du secteur et les syndicats s'y opposent farouchement. On peut aussi s'étonner de l'agenda de son examen.
Pour toutes ces raisons, le groupe Rassemblement national s'y opposera.