Intervention de Marie Pochon

Séance en hémicycle du mercredi 27 mars 2024 à 21h30
Réemploi des véhicules au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie Pochon, rapporteure de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire :

« Au début, une collègue m'emmenait à l'usine d'agro, mais elle en a eu marre. J'ai hâte de rappeler l'agence d'intérim pour reprendre direct. Enfin, je vais pouvoir bouger, revoir du monde. » C'est Rose, une maman solo de 24 ans, qui l'autre jour au garage solidaire de Trélazé, a pu se voir remettre les clefs d'une voiture en location de longue durée à un prix modique, lui permettant de sortir de la galère.

Pour elle, comme pour tant d'autres, la bagnole, « c'est son indépendance, c'est sa liberté », nous dit-elle. Le fait est que Rose n'est pas la seule dans cette situation puisque 13,3 millions de personnes étaient en situation de précarité mobilité en 2022 dans notre pays, et parmi elles, 4,3 millions ne disposaient d'aucun mode de transport : ni voiture, ni abonnement à une offre de transport… quand il y en a. Rose, pour se rendre à ce garage solidaire, pour enfin pouvoir accéder à l'emploi, a dû prendre un train, puis un bus, puis finir à pied. Cette réalité, c'est la nôtre dans tant de nos campagnes.

Une autre réalité, c'est celle du modèle économique des garages solidaires : il a été largement fragilisé par la prime à la conversion qui envoie chaque année à la casse des milliers de véhicules, parfois peu polluants, parfois sans beaucoup de kilométrage et encore vraiment utilisables. Ces véhicules constituaient, auparavant, le gros des dons aux garages solidaires, et garantissaient la mobilité à ceux qui, sinon, y auraient renoncé.

De ces deux réalités bien concrètes, l'ancien sénateur du Morbihan, Joël Labbé, a tiré une proposition de loi défendant une idée simple et empreinte de bon sens, qui lui avait été soufflée par son garagiste : « Je vois presque tous les jours des voitures destinées à la casse qui sont encore en bon état de marche. Quel gâchis ! Ces voitures pourraient servir à des personnes ou à des ménages qui n'ont pas forcément l'argent pour en louer ou en acquérir une neuve. Puisque tu es sénateur, ce serait bien que tu fasses quelque chose en ce sens. »

Cette idée, qui a pris forme dans le texte que nous examinons aujourd'hui, c'est ainsi celle d'une mesure d'intérêt général qui vise à récupérer une partie de ce vivier, c'est-à-dire les véhicules les moins polluants et encore en bon état, mais destinés à la casse dans le cadre de la prime à la conversion, pour les mettre à disposition des garages solidaires, en particulier dans les territoires ruraux et isolés.

Les services de mobilité solidaire, en grande majorité des garages solidaires ou des plateformes de mobilité, sont le maillon essentiel de la chaîne de solidarité. Ces initiatives, le plus souvent associatives ou provenant de particuliers, et qui reçoivent parfois le soutien de collectivités, contribuent à lutter contre les inégalités dans l'accès à la mobilité. Elles visent jour après jour, tant bien que mal, à rendre réelle et concrète cette grande idée du droit à la mobilité, consacrée dans la loi d'orientation des mobilités, dite loi LOM, de 2019.

Cependant le droit à la mobilité rime aujourd'hui encore, dans bien trop de territoires, avec « renoncer » : renoncer à un rendez-vous médical, renoncer à un dîner avec des amis, renoncer pour nos aînés à voir la famille, renoncer à une offre de formation, renoncer à un entretien d'embauche ou à une opportunité professionnelle. Ainsi, 28 % des demandeurs d'emploi ont renoncé, au moins une fois, à un emploi lors des cinq dernières années pour des raisons de mobilité. Pour beaucoup d'entre eux, ce sont des femmes : celles-ci constituent plus de 70 % des bénéficiaires du garage où cette idée est née, à Saint-Nazaire. Là-bas, Tania, entrepreneure, a pu développer son activité grâce au prêt d'un véhicule utilitaire. De même Simone, au RSA, a pu retrouver un emploi et cesser de nourrir ses enfants avec l'aide alimentaire. À Trélazé, Cédric, intérimaire, aurait pu perdre son travail s'il n'avait pas trouvé une voiture à temps pour s'y rendre, et dans le livre d'or de ce garage, il est écrit des phrases aussi simples que : « Vous aidez des familles à s'en sortir. Merci. »

Malheureusement, comme je l'ai dit, les services de mobilité solidaire sont aujourd'hui en grande difficulté. D'une part, les dons de véhicules, sur lesquels repose en grande partie leur modèle économique, sont insuffisants pour tenir le rythme élevé de la demande. D'autre part, les véhicules reçus ont souvent au moins dix ans, emportant des conséquences pour les bénéficiaires en matière de sécurité et de pollution, voire parfois en termes de dignité de la personne.

Or ces deux tendances sont au moins exacerbées par le dispositif de la prime à la conversion qui existe depuis 2015. Certes, cette mesure poursuit un objectif vertueux : celui d'accompagner et d'accélérer le renouvellement du parc automobile pour aller vers des véhicules moins polluants, sachant que le transport routier est actuellement responsable de 30 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en France, mais il comporte actuellement un point aveugle majeur. Dans tous les cas, il est appliqué sans tenir compte ni de l'ancienneté du véhicule, ni de son kilométrage, ni de son état de fonctionnement, ni de son taux d'émission : les véhicules concernés sont tous envoyés à la casse. Ainsi, plus de 1 million de véhicules ont été détruits dans le cadre de ce dispositif depuis sa mise en place. Or 59 % des véhicules mis au rebut dans le cadre de la prime à la conversion sont classés Crit'Air 3.

Tout le paradoxe est là : les garages solidaires fonctionnent difficilement, sur un modèle économique fragilisé, avec des véhicules très anciens et polluants, et des bénéficiaires qui en paient le tribut, tandis que l'on envoie au broyage chaque année, dans le cadre de la prime à la casse, des voitures souvent plus récentes, moins polluantes et en bon état de marche.

Entendons-nous bien : il ne s'agit pas ici de remettre en cause le cercle vertueux de la prime à la conversion. Elle a fait ses preuves. Nous souhaitons seulement introduire un bénéfice social mais aussi un bénéfice environnemental dans le système en offrant la possibilité de maintenir en circulation les véhicules les moins polluants concernés par le dispositif, pendant une durée limitée, au profit des personnes qui en ont le plus besoin, plutôt que de les envoyer immédiatement à la casse.

L'article 1er de la proposition de loi constitue le cœur du dispositif. Il prévoit la possibilité pour les autorités organisatrices de la mobilité, les AOM, de recevoir à titre gracieux des véhicules destinés à la destruction dans le cadre de la prime à la conversion, afin de mettre en place des services de location solidaire.

Le dispositif prévoit que cette faculté s'exerce par le biais d'une convention locale conclue, sur la base du volontariat, entre l'AOM volontaire, les associations reconnues d'utilité publique ou d'intérêt général agissant pour les mobilités solidaires, et, toujours sur la base du volontariat, les concessionnaires automobiles, les centres de traitement des véhicules hors d'usage, dit centres VHU, et les départements.

Permettez-moi ici de revenir sur les quelques amendements que nous avons examinés en commission. Certains d'entre vous ont exprimé le souhait d'élargir le champ du dispositif au-delà de ces acteurs. J'y suis défavorable pour plusieurs raisons. Tout d'abord, parce que l'esprit de ce texte est de soutenir et de consolider le rôle des garages solidaires, qui doivent rester au cœur du dispositif car ce sont eux qui aujourd'hui assurent la mobilité solidaire dans nos territoires ruraux et qui ont les compétences et le savoir-faire pour la location de véhicules aux plus démunis. Ensuite, parce que les AOM disposent d'une liberté contractuelle qui n'est aucunement remise en cause par ce texte : si une AOM juge pertinent de conventionner avec une coopérative ou avec une entreprise locale pour mettre en place un service de location solidaire, elle pourra toujours le faire.

Je tiens par ailleurs à rassurer certains collègues qui ont exprimé des craintes quant à l'inscription du dispositif dans les plans de mobilité : l'intention du législateur est claire sur le fait de ne pas faire dépendre sa mise en œuvre à son inscription dans un plan de mobilité.

Le Sénat a en outre veillé à encadrer le dispositif par un certain nombre de garde-fous afin de trouver le juste équilibre entre justice sociale et préservation de l'environnement : notons en particulier que seuls les véhicules classés Crit'Air 3 ou mieux, donc les moins polluants, seront concernés.

Leur maintien en circulation ne sera possible que pour une durée limitée et l'AOM en sera l'unique propriétaire jusqu'à leur destruction.

Par ailleurs, dans la mesure où les collectivités locales bénéficient du principe de libre administration, celles qui ont l'obligation de déterminer des zones à faibles émissions (ZFE) pourront, si elles le souhaitent, instaurer une dérogation liée à la mobilité solidaire, comme le fait la ville de Lyon.

Enfin, je souhaite revenir sur la question du rétrofit. Nous souscrivons à l'objectif d'éviter la production de véhicules neufs grâce à la conversion de véhicules thermiques en véhicules électriques. Malheureusement, cette solution n'est pas encore suffisamment mature. Faire reposer le dispositif sur les quelques milliers de véhicules concernés, comme certains le proposent, reviendrait à le vider de toute portée opérationnelle.

Procéder au rétrofit d'un véhicule, c'est lui donner une nouvelle vie, ce qui est structurellement incompatible avec la prime à la conversion. Pour autant, rien n'empêche l'utilisation des véhicules rétrofités dans le cadre de ce dispositif. De plus, étant bien conscients que le rétrofit pourrait constituer, une fois développé, une solution complémentaire vertueuse, nous prévoyons, à l'article 2, la remise au Parlement d'un rapport du Gouvernement à ce sujet.

Chers collègues, c'est avec beaucoup d'émotion que je me présente devant vous en tant que rapporteure de ce texte qui ne fera certes pas la une des grands médias, mais qui changera très concrètement la vie de milliers de nos concitoyens, en particulier dans les territoires reculés : ceux qu'on ne voit pas, ceux qu'on n'entend pas et qui, parfois, manquent de porte-voix dans notre assemblée. Les garages solidaires, les associations du secteur et plus largement celles qui luttent contre l'exclusion, ainsi que leurs bénéficiaires, attendent cette loi avec impatience. Pour eux et pour les Français touchés par la précarité liée à la mobilité, il y a urgence. Ils nous regardent.

Je remercie tous les acteurs qui se sont mobilisés pour mener cette bataille. Je salue tout particulièrement mon collègue sénateur Joël Labbé ;

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