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Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel, rapporteure :

Il y a dix ans, j'ai eu l'honneur de rapporter ici même une proposition de loi visant à garantir la pérennité du dispositif de partage de l'activité entre moniteurs de ski seniors et ceux nouvellement diplômés, imaginé cinquante ans plus tôt par le Syndicat national des moniteurs du ski français (SNMSF) afin de promouvoir une forme de solidarité intergénérationnelle au sein de la profession. Quelques-uns s'en souviennent ici, en particulier Joël Giraud.

Devenu la loi du 26 mai 2014, ce texte avait pour but de mettre en conformité avec les législations européenne et française prohibant les discriminations fondées sur l'âge le mécanisme équilibré favorisant l'intégration des jeunes moniteurs dans les écoles de ski. Alors que celui-ci produit des résultats satisfaisants, comme l'a rappelé le président du SNMSF, Éric Brèche, lors de son audition, il semble aujourd'hui opportun d'en faire bénéficier les moniteurs stagiaires, qui jouent un rôle à part entière dans le fonctionnement des écoles de ski en y assurant des heures d'enseignement nécessaires à la validation de leurs diplômes, et qui incarnent l'avenir d'une profession essentielle à l'attractivité de nos montagnes.

La France figure parmi les premières destinations de ski en raison non seulement de ses infrastructures réparties sur une part importante du territoire, mais aussi de la qualité reconnue de ses moniteurs, qui accompagnent chaque année des visiteurs venus du monde entier. Au cours de la saison 2022-2023, notre pays se situait ainsi au deuxième rang mondial en termes de journées-skieur vendues, avec 51 millions de ventes, derrière les États-Unis et devant l'Autriche.

La profession de moniteur de ski est fortement structurée de longue date par le SNMSF, qui regroupe les 200 écoles du ski français, les fameuses ESF que vous avez tous vues sur les pistes enneigées de nos stations et dans lesquelles exercent 16 000 des 17 600 moniteurs de notre pays. Cependant, même lorsqu'ils exercent leur activité en syndicat ou en association, les moniteurs de ski restent des travailleurs indépendants.

Les moniteurs de ski stagiaires, au nombre de 3 240, autorisés à délivrer un enseignement, relèvent également de ce régime et sont affiliés, comme les diplômés, au système d'assurance vieillesse des professions libérales. Ils suivent une formation à l'École nationale de ski et d'alpinisme, souvent en parallèle de leurs études ou d'une autre activité. Chaque année, 400 à 500 moniteurs de ski sont diplômés à l'issue d'un cursus qui comprend obligatoirement deux stages d'un minimum de vingt-cinq jours dans une école de ski.

C'est pour garantir l'insertion professionnelle des jeunes moniteurs que, dès 1963, le SNMSF mit en place un mécanisme de solidarité intergénérationnelle au sein des ESF. En réduisant l'activité des moniteurs déjà susceptibles de prendre leur retraite, ce dispositif permettait de libérer des heures de cours pour les nouveaux entrants.

Initialement fixé à 55 ans, l'âge à partir duquel les moniteurs de ski perdaient leur statut de permanent pour ne plus être appelés qu'en renfort lors des vacances scolaires fut repoussé, concomitamment au recul de l'âge de la retraite, à 58 ans en 1996 et 61 ans en 2007. En outre, à compter de cette date, les moniteurs âgés de plus de 65 ans ne bénéficiaient plus que d'un nombre d'heures très réduit.

En dépit de ses résultats satisfaisants, ce mécanisme fit l'objet, à compter de la fin des années 2000, de contestations de la part de moniteurs seniors qui se considéraient comme victimes de discrimination. Réunis en association, ils saisirent à la fois la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), dont les missions sont aujourd'hui assurées par le Défenseur des droits, et la justice, sur le fondement de la loi du 27 mai 2008, transposant en droit français la directive 2000/78/CE qui prohibe toute discrimination en matière d'emploi et d'accès à l'emploi fondée notamment sur l'âge mais autorise que des différences de traitement existent « lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée ». La Halde, dans sa délibération du 29 novembre 2010, comme le tribunal de grande instance d'Albertville, dans son jugement du 21 février 2012, donnèrent raison aux moniteurs de ski seniors en considérant que la différence de traitement dont ils faisaient l'objet n'était pas autorisée par l'État et ne bénéficiait que marginalement aux jeunes moniteurs, pourtant cibles du dispositif.

Malgré une révision des règles régissant le mécanisme, grâce à l'adoption par le SNMSF, en 2012, d'un pacte intergénérationnel garantissant aux moniteurs jusqu'alors permanents âgés de 62 à 67 ans une activité suffisante pour valider deux trimestres d'assurance vieillesse par an, le tribunal de grande instance de Grenoble donna à nouveau raison aux moniteurs de ski seniors dans un jugement du 18 mars 2013, que la cour d'appel de Grenoble infirma dans un arrêt du 30 septembre de la même année.

Face aux incertitudes pesant sur la validité juridique du mécanisme de solidarité intergénérationnelle conçu par le SNMSF, l'intervention du législateur est apparue nécessaire pour lui conférer une base légale à même de garantir sa pérennité. C'est ce que fit la loi du 26 mai 2014, dont les trois articles n'ont fait l'objet d'aucune modification à ce jour.

Le premier article autorise toutes les écoles de ski à instituer un système de réduction d'activité des moniteurs ayant atteint l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite dans le but de favoriser l'insertion professionnelle des jeunes moniteurs diplômés, suivant la logique retenue dès l'origine. Toutefois, contrairement à la situation qui prévalait sous l'empire du pacte intergénérationnel, qui ne précisait rien en la matière, la redistribution d'activité provoquée par ce système doit exclusivement bénéficier aux « moniteurs âgés de moins de 30 ans exerçant en continuité sur la saison ».

Le deuxième article apporte des garanties aux moniteurs seniors et aux moniteurs débutants qui exerceraient dans une structure ayant décidé de recourir au dispositif.

Premièrement, la réduction d'activité des professionnels les plus âgés, organisée en trois temps, est plafonnée durant cinq ans, selon des modalités précises et plus protectrices que par le passé. Elle ne peut excéder, pendant une période initiale de trois années, 30 % de l'activité à laquelle « ils pourraient normalement prétendre en fonction des règles de répartition établies par l'école de ski ». Pendant les deux années suivantes, elle ne peut excéder 50 % de cette activité. Enfin, au-delà de ces cinq années, il peut être fait appel à eux « en tant que de besoin ».

Deuxièmement, et sans que cela ne constitue une nouveauté, les moniteurs seniors, comme les moniteurs débutants, se voient accorder un nombre d'heures d'activité devant leur permettre de valider au moins deux trimestres d'assurance vieillesse par an dans leur régime de retraite de base.

Le troisième article, applicable jusqu'au 1er janvier 2017, prévoyait que la loi ne s'appliquerait qu'aux moniteurs âgés d'au moins 62 ans afin que le nouveau régime ne puisse leur être moins favorable que le pacte intergénérationnel.

Ainsi défini par l'État, et non plus par un syndicat professionnel, le mécanisme de solidarité intergénérationnelle édifié en 2014 répond aux exigences du droit européen puisque la différence de traitement fondée sur l'âge apparaît raisonnablement justifiée par un objectif légitime – l'insertion professionnelle des jeunes moniteurs de ski diplômés – et que les moyens employés pour y parvenir – la réduction progressive de l'activité des moniteurs seniors au profit des seuls moniteurs âgés de moins de 30 ans – s'avèrent appropriés et nécessaires.

La réforme apparut rétrospectivement d'autant plus essentielle que la Cour de cassation annula, le 17 mars 2015, l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble qui avait reconnu au pacte intergénérationnel un caractère licite.

De l'avis des acteurs de terrain, la loi du 26 mai 2014 a produit des résultats positifs du point de vue de l'insertion professionnelle des jeunes moniteurs de ski dans les différentes écoles de ski. Mais le dispositif présente une limite : les moniteurs stagiaires inscrits dans un cursus de formation au diplôme d'État de moniteur de ski sont exclus de son champ d'application alors même qu'ils assurent des cours dans les écoles de ski à l'occasion des stages qu'ils y accomplissent. Cette situation, qui peut être considérée comme injuste pour les moniteurs en formation et vraisemblablement non optimale pour le fonctionnement des écoles, gagnerait à être corrigée afin de permettre à ces jeunes stagiaires de bénéficier de suffisamment d'heures d'enseignement dans leur formation. C'est l'objet de la proposition de loi discutée ce matin, qui apporte au texte de 2014 une double modification.

D'une part, son article 1er ouvre aux moniteurs de ski stagiaires le bénéfice de la redistribution d'activité résultant de la mise en œuvre du mécanisme de réduction d'activité des moniteurs les plus âgés.

D'autre part, son article 2 réserve aux moniteurs diplômés le bénéfice d'une redistribution d'activité leur permettant de valider au moins deux trimestres d'assurance vieillesse par an dans leur régime de retraite de base, étant donné que les moniteurs stagiaires continuent de suivre une formation théorique durant une partie de la saison.

Il y a dix ans, le texte qui devait devenir la loi du 26 mai 2014 avait recueilli l'assentiment unanime des députés et fait l'objet d'un vote conforme des sénateurs. Je forme le vœu que la présente proposition de loi, soutenue par des députés siégeant sur différents bancs et inscrite à l'ordre du jour d'une semaine de l'Assemblée à la demande du groupe Socialistes et apparentés, connaisse un sort identique.

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